Au cours des élections européennes, le sujet de la compliance est bien évidemment dans la tête de tous les députés européens. C’est dans ce cadre que Julien Briot-Hadar, expert en compliance, a décidé de s’exprimer sur le sujet de la tax compliance et d’interroger ses pairs.
Charlotte Leduc, députée et membre de la Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire, ainsi que Martine Étienne, députée et membre de la Commission de la défense nationale et des forces armées, ont souhaité s’exprimer sur le thème de la rétrocession fiscale entre le Luxembourg et la France. L’ancien secrétaire général du syndicat national Solidaires Finances Publiques et inspecteur général des impôts, Vincent Drezet, a décidé de nous exposer son point de vue sur les enjeux européens de la fiscalité. Pour finir, l’actualité de la compliance et de l’apport de l’intelligence artificielle (IA) à la compliance est analysée en profondeur par Marie-Agnès Nicolet, Présidente de Regulation Partners, et Yan-Elyes Baili, consultant-doctorant chez Regulation Partners.
La première des sources de règles relatives à la fiscalité dans l’Union se trouve dans le traité instituant la Communauté européenne (CE), signé à Rome en mars 1957. Ce traité, qui a connu des modifications depuis, prévoit explicitement l’harmonisation de la fiscalité indirecte, mais n’envisage aucune disposition spécifique pour la fiscalité directe. On peut seulement noter que l’article 94 offre la possibilité d’arrêter à l’unanimité « des directives pour le rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres qui ont une incidence directe sur l’établissement et le fonctionnement du marché intérieur ». Il faut savoir que la fiscalité directe est un domaine dans lequel la coopération au niveau de l’Union européenne (UE) est notoirement difficile et où simultanément les difficultés vont grandissant. Les agents rencontrent des obstacles fiscaux incompatibles avec leurs stratégies d’activités économiques et commerciales sur l’ensemble du grand marché, tandis que les administrations fiscales commencent à réaliser qu’elles ne sont plus en mesure de protéger au seul niveau national leur base d’imposition d’une manière compatible avec les libertés fondamentales du Traité. Or, dans
un contexte marqué par l’unanimité, il aura par exemple fallu près de 30 ans de discussions pour qu’apparaissent les premières directives européennes en matière de fiscalité des entreprises, les directives « mères-filiales » et « fusions », en 1990. Dans cette situation, l’appel à une modification des processus de décision peut sembler certes justifié. De nouveaux projets européens ont vu le jour (partie A).
Si le développement des pratiques d’optimisation fiscale agressive pénalise lourdement la plupart des États qui, victimes de la délocalisation des profits réalisés sur leur territoire, sont privés d’importantes recettes, il est rentable pour les firmes qui y recourent ainsi que pour les territoires les favorisant. L’UE est dès lors confrontée à des obstacles qu’elle a du mal à surmonter (partie B).
L’harmonisation de la fiscalité est, dans une certaine mesure, un vrai « serpent de mer » des relations internationales. Néanmoins, certaines périodes s’avèrent plus propices à cette dynamique. En effet, avant 1945 les initiatives d’harmonisation de la fiscalité à l’échelle de plusieurs pays simultanément ne prédominent pas dans les relations entre États, principalement en raison du climat économique et politique. À l’issue de la seconde guerre mondiale, les vainqueurs, motivés par la volonté de ne plus voir se reproduire une telle situation, procèdent à l’analyse des causes du conflit. Il apparaît alors que la situation d’intense concurrence fiscale voire de guerre fiscale, notamment sur le plan douanier, que se livrent de nombreux États au cours des années 1930 a agi comme un catalyseur pour le conflit mondial. Dès lors, un rapprochement sur le plan fiscal et dans un premier temps sur le plan douanier semblait indispensable.
Par la suite, c’est au milieu des années 1990 que les États membres prennent un engagement mutuel de ne plus introduire de mesures fiscales visant à attirer artificiellement l’assiette imposable des sociétés. À la suite des Conseils Écofin informels de Vérone en avril 1996 puis de Mondorf-les-Bains en septembre 1997, la Commission présente en novembre 1997 une communication intitulée « Un ensemble de mesures pour lutter contre la concurrence fiscale dommageable dans l’UE ». Donnant suite à ces propositions, les États membres adoptent, le 1 er décembre 1997, une résolution établissant un « code de conduite dans le domaine de la fiscalité des entreprises ». Il s’agit d’un texte non normatif1 , par lequel les États membres s’engagent à supprimer, et à ne plus introduire à l’avenir, toutes « mesures fiscales établissant un niveau d’imposition effective nettement inférieur, y compris une imposition nulle, par rapport à ceux qui s’appliquent normalement dans l’État membre concerné » et « ayant, ou pouvant avoir, une incidence sensible sur la localisation des activités économiques au sein de la Communauté ». Sont concernés aussi bien les taux réduits que les mesures d’assiette2 . Le code énumère plusieurs critères permettant de déceler une mesure fiscale dommageable : ainsi, notamment, le fait que les avantages fiscaux soient accordés exclusivement à des non-résidents, isolés de l’économie domestique ou accordés même en l’absence de toute activité économique réelle. En termes de procédure, il organise une revue par les pairs des mesures fiscales nationales : leur évaluation est confiée à un groupe du Conseil, initialement dénommé « groupe Primarolo » du nom de son premier président.
L’harmonisation des bases de l’impôt sur les sociétés est donc un projet ancien qui ne porte cependant pas sur les taux. Les premières discussions sur le sujet remontent à 2001, le projet ayant été véritablement lancé en 2011. Deux propositions de directives du 25 octobre 2016 portant sur l’établissement d’une assiette commune pour l’impôt sur les sociétés (ACIS) et d’une assiette commune consolidée pour cet impôt (ACCIS) ont été élaborées par la Commission européenne. Ces textes visent d’une part, à unifier l’ACIS, c’est-à-dire à appliquer les mêmes règles de détermination du bénéfice imposable et, d’autre part à la consolider (ACCIS), autrement dit à répartir cette assiette des entreprises transnationales entre les États membres sur la base de critères objectifs mesurés par pays : le nombre de salariés, la masse salariale, les actifs et le chiffre d’affaires. Cette consolidation aurait pour avantage de supprimer la possibilité pour les entreprises transnationales de transférer, à l’aide de divers montages, la plus grande part de leurs profits taxables européens dans des États membres à fiscalité allégée. Il resterait ensuite aux États à appliquer leurs taux sur la quote-part du bénéfice leur revenant. En tant que telle, l’ACCIS est intéressante mais insuffisante.
Plus récemment, le 12 septembre 2023, la Commission européenne a en effet proposé une directive destinée à remplacer celles proposées en 2016 relative à l’ACIS et à l’ACCIS. Il s’agit en somme de mettre en place un nouvel ensemble unique de règles pour déterminer la base d’imposition des groupes d’entreprises. Baptisée « BEFIT » ( Business in Europe : Framework for Income Taxation ou « Entreprises en Europe : cadre pour l’imposition des revenus »), cette directive, une fois adoptée par le Conseil, la proposition pourrait entrer en vigueur le 1 er juillet 2028.
Le 19 juin 2023, la Commission européenne a publié sa proposition de directive dite FASTER (pour « Faster and Safer Relief of Excess Withholding Taxes » ) visant à améliorer les procédures de remboursement de retenue à la source au sein de l’UE, suite au constat de la diversité des procédures de retenue à la source dans chaque État membre, ainsi que de l’existence de plus de 450 formulaires différents au sein de l’UE, disponibles pour la plupart dans la langue nationale uniquement.
Si la directive était adoptée en l’état, elle devrait être transposée par les États membres de l’UE au plus tard le 31 décembre 2026, pour une application à compter du 1 er janvier 2027.
La Commission a trois objectifs principaux pour cette proposition :
— Supprimer les obstacles à l’investissement transfrontalier (élimination de la double imposition) ;
— Renforcer la capacité des États membres à prévenir et à lutter contre la fraude et l’abus fiscaux ;
— Améliorer les processus de dégrèvement à la source et de remboursement de retenue à la source au profit des investisseurs.
Cette proposition repose sur quatre mesures clés :
— La création d’un certificat de résidence fiscale numérique (CRFN ou « eTRC ») délivré sur demande dans un délai maximum d’un jour ouvré ;
— L’obligation pour les États membres de proposer pour les retenues à la source sur dividendes d’actions cotées une procédure d’application des taux réduits en complément de la procédure standard de remboursement qu’ils peuvent prévoir, par la mise en place soit d’une procédure d’application des taux réduits (de droit interne ou conventionnels) à la source, soit d’une procédure de remboursement rapide ou bien une combinaison de ces deux méthodes. Une telle possibilité serait ouverte aux États membres pour les retenues à la source sur intérêts de titres de dette cotés ;
— l’intervention obligatoire d’un intermédiaire financier certifié ou « Certified Financial Intermediary » (IFC) qui effectuera au nom et pour le compte du bénéficiaire les demandes d’application des taux réduits ;
— la création d’une déclaration normalisée obligatoire pesant sur les IFC afin de permettre aux autorités fiscales nationales de reconstruire la chaîne complète de paiement, devant être effectuée au plus tard dans les 25 jours après la date d’arrêté des positions (record date) et devant comporter un certain nombre d’informations.
Par ailleurs, le 8 décembre 2023, le Conseil ECOFIN a approuvé un rapport sur les questions fiscales adressé au Conseil européen dans lequel il est indiqué que la présidence espagnole a apporté de nombreuses modifications au texte initial, et précisé qu’un certain nombre d’États membres avait émis la demande de maintenir leurs systèmes actuels de dégrèvement à la source.
De plus, le Comité économique et social européen (CESE) a émis un avis favorable à la proposition de directive FASTER le 13 décembre 2023.
Le 23 janvier 2024, la Commission ECON du Parlement européen a adopté le projet de rapport sur le texte, amendé à plusieurs reprises. Les députés ont proposé plusieurs modifications concernant notamment le CRFN (délai complémentaire de délivrance du CRFN, notamment en cas de vérification de la résidence fiscale du contribuable), la radiation du registre national des IFC, ainsi que le contrôle et l’échange d’informations entre États membres. Il devrait être voté en assemblée plénière du Parlement le 26 février 2024.
Dans un texte de compromis transmis par la présidence belge aux États membres le 25 janvier dernier, d’après les informations ayant été divulguées, le Conseil de l’UE introduirait, pour les États membres qui disposent déjà d’un système complet de dégrèvement à la source, l’obligation de mettre en place la nouvelle procédure de taux réduit à la source ou de remboursement rapide s’ils ont un ratio de capitalisation boursière égal ou supérieur à 1 % au cours des deux années consécutives précédentes, tandis que dans le cas inverse, les États membres ne seraient pas tenus de le faire. Les États membres ne disposant pas d’un système complet de dégrèvement à la source seraient tenus d’appliquer les dispositions de la directive, que leur capitalisation boursière soit inférieure, égale ou supérieure au seuil de 1 %. Les dispositions relatives à la responsabilité des IFC visant notamment à ce qu’ils soient tenus responsables des pertes de recettes de retenue à la source subies par un État membre seraient maintenues, mais aménagées (le critère d’intention ou de négligence serait supprimé).
La présidence belge ayant placé la proposition de directive FASTER au rang de ses priorités, la proposition de texte devrait faire l’objet de nombreux débats d’ici la fin du semestre.
Le 11 mai 2022, la Commission européenne a publié une proposition de directive « Debt Equity Bias Reduction Allowance » en partant du constat qu’il existe au sein de l’UE une distorsion fiscale en faveur de l’endettement dès lors que la plupart des systèmes fiscaux permettent de déduire les intérêts liés aux surcoûts des emprunts alors que les coûts liés au financement des fonds propres ne sont pas déductibles.
Ce que l’on appelle le biais d’endettement en faveur des fonds propres est un problème que les pays ont cherché à résoudre individuellement au cours des dernières années, notamment en introduisant des restrictions sur le montant des coûts de financement qui peuvent être allégués d’un point de vue fiscal, généralement en référence à un pour-
centage de revenus.
Cette proposition de directive comprend deux mesures distinctes :
— permettre une déduction retenue sur le financement par actions ;
— limiter la déductibilité des intérêts sur les instruments de financement par emprunt.
Cette proposition s’applique à tous les contribuables soumis à l’impôt sur les sociétés dans un ou plusieurs États membres, à l’exception des institutions financières (car celles-ci sont généralement soumises aux exigences réglementaires en matière de fonds propres).
En décembre 2022 le Conseil ECOFIN a annoncé la suspension de l’examen du projet compte tenu de l’annonce d’autres initiatives législatives interférant avec la proposition DEBRA. En conséquence la date de transposition par les États membres initialement prévue au plus tard le 31 décembre 2023 pour une entrée en vigueur à compter du 1 er janvier 2024 est reportée sine die. À ce jour, le projet est donc à l’arrêt, mais on notera que le Parlement européen a publié le 16 janvier dernier une résolution sur la proposition DEBRA comportant divers amendements à la proposition de directive parmi lesquels une application différenciée des mécanismes en fonction de la taille des entreprises.
Une des principales critiques formulées à l’encontre de la proposition de directive est qu’elle s’avère particulièrement préjudiciable pour les petites et moyennes entreprises (PME) dans la mesure où elle ne prévoit pas de « safe harbour » , c’est-à-dire un seuil en dessous duquel la totalité des surcoûts d’emprunt serait déductible.
La concurrence fiscale peut se définir selon une double dimension statique et dynamique. Ainsi, « la concurrence fiscale désigne à la fois, de manière statique, la situation dans laquelle certains acteurs mettent en compétition les systèmes fiscaux de différents États et, de manière dynamique, les réactions des États pour améliorer leur position dans cette compétition ». Cette double dimension implique la prise en compte de la dynamique fiscale selon deux approches distinctes. L’approche statique correspond ainsi au point de vue des sociétés et des particuliers qui cherchent à optimiser leur situation fiscale en jouant sur les différences entre États ; tandis que l’approche dynamique correspond à l’approche des États qui réagissent aux orientations fiscales décidées par ses pairs. L’approche statique correspond donc à une approche d’optimisation fiscale, laquelle désigne la recherche de solutions permettant de réduire la charge fiscale d’une société ou d’un particulier, en jouant sur les spécificités fiscales propres à chaque État et les incitations fiscales mises en place. Cette pratique n’est pas répréhensible lorsqu’elle n’est pas excessive. Ainsi, « l’optimisation [fiscale], c’est ce qui n’est a priori pas illégal, mais qui est répréhensible moralement ». Il s’agit donc des pratiques relevant de ce qui est fréquemment qualifié de zones grises de la fiscalité, zones grises qui constituent pour les plus importantes des cibles privilégiées de la directive DAC 6 dans la mesure où les différences de politiques fiscales entre les États ont pu conduire à des dérives, qui ont renforcé la guerre fiscale. La directive DAC 6 a pour finalité de lutter contre les excès et les dérives liés à l’optimisation fiscale, or ces excès peuvent être considérés comme les conséquences de la guerre fiscale que se livrent les États. En effet, l’approche dynamique de la concurrence fiscale correspond à une situation d’escalade dans la mise en place de régimes fiscaux de faveur par les États afin d’attirer les contribuables et les investissements. Cette situation de concurrence peut s’apparenter à une situation de guerre fiscale comme nous le verrons par la suite. La guerre fiscale représente donc un élément constitutif de la notion de concurrence fiscale, et de ce fait l’un des éléments à l’origine des pratiques d’optimisation fiscale mises en place par les sociétés et les particuliers.
Cette concurrence voire guerre fiscale peut donc se définir comme la situation dans laquelle deux ou plusieurs États font appel à des politiques fiscales afin d’améliorer leur situation par rapport à l’un des trois enjeux de protection, de renforcement et de développement, et ce au détriment d’un ou de plusieurs autres États qui appliquent en retour des contre-mesures fiscales, déclenchant ainsi un mécanisme d’escalade.
Dès son premier rapport de novembre 1999, le code de conduite a identifié 66 mesures dommageables, telles que les régimes de holdings ou sociétés offshore exonérées applicables au Luxembourg, aux Pays-Bas, au Danemark et dans plusieurs « territoires dépendants d’États membres » (Gibraltar, Antilles néerlandaises, Aruba, Guernesey, Jersey, île de Man), mais aussi le taux réduit applicable en France aux redevances de brevet (du fait de son champ) 3 . Et près de 25 ans après sa création, plus de 100 régimes fiscaux des États membres (sur 400 examinés) ont été jugés dommageables et ont donc dû être réformés.
Cette concurrence fiscale dommageable nous oblige également à aborder les rescrits fiscaux dommageables, qui permettent à de grandes entreprises internationales d’éluder la part d’impôt qui leur incombe dans la zone UE.
Le fait d’attaquer les rescrits un par un, société par société, représente une tâche d’une ampleur considérable pour la Commission européenne, bien hors de portée des moyens dont elle dispose.
La création d’un cadre juridique pour ce type d’accord entre contribuables et administrations peut être une solution. Toutefois, sur le sujet fiscal, l’accord de chaque État membre est requis pour prendre une décision.
Plusieurs solutions existant déjà dans les traités européens peuvent être envisagées comme alternatives à la solution politique, impossible à mettre en œuvre, et aux aides d’États, dont l’efficacité est limitée.
On pourrait, pour contourner l’écueil de l’unanimité, envisager de créer une directive visant à lutter contre les rescrits fiscaux dommageables sur le fondement d’autres articles que l’article 115 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, qui requiert une procédure spéciale et l’unanimité des États membres.
On pourrait d’emblée se référer à l’article 116 du même traité, qui permet de lutter contre une disparité existante entre les dispositions législatives, réglementaires ou administratives des États membres qui fausse les conditions de concurrence sur le marché intérieur et provoque, de ce fait, une distorsion qui doit être éliminée. Cet article prévoit tout d’abord la consultation des États membres concernés afin de supprimer la distorsion. Dans le cas qui nous intéresse, il semble peu probable qu’une telle consultation suffise. En cas d’échec de cette première étape, le traité prévoit que le Parlement européen et le Conseil puissent prendre une directive nécessaire pour éliminer cette distorsion, selon la procédure législative ordinaire, soit sans condition d’unanimité.
Dans le cas des rescrits fiscaux dommageables, il s’agit bien de dispositions administratives qui rompent la pleine concurrence fiscale entre États membres. Le critère de distorsion de la concurrence, exigé par l’article 108 du TFUE, n’a pas été remis en question par le Tribunal de l’UE. En outre, cet article du TFUE n’exclut pas de son champ d’application la fiscalité, et semblerait donc possible à mettre en œuvre.
On pourrait également penser intéressant de se référer à l’article 325 du TFUE. Cet article vise à lutter contre la fraude pouvant porter atteinte aux intérêts financiers de l’UE et permet, dans cette optique, de prendre les directives nécessaires par le biais de la procédure ordinaire, permettant donc d’échapper à l’exigence de l’unanimité. Toutefois, il faudrait réussir à prouver que ces rescrits dommageables portent atteinte aux intérêts financiers de l’UE, ce qui n’est pas évident puisqu’en octroyant de tels rescrits les États membres réduisent uniquement leurs propres recettes. Il faudrait également établir que les rescrits en question sont des cas de fraude, ce qui est loin d’être évident.
En réalité, aucun de ces deux articles n’a jamais été utilisé dans un contexte fiscal. Même si rien ne semble s’y opposer juridiquement, ce serait une véritable révolution dans le droit de l’UE.
Les institutions européennes (la Commission européenne et le Parlement européen) proposent plutôt de modifier les traités pour permettre de prendre des décisions fiscales à la majorité qualifiée. À cet égard, on pourrait imaginer avoir recours à la clause passerelle prévue à l’article 48, paragraphe 7, du TUE. Celle-ci prévoit que lorsque « le Conseil statue à l’unanimité dans un domaine ou dans un cas déterminé, le Conseil européen peut adopter une décision autorisant le Conseil à statuer à la majorité qualifiée dans ce domaine ou dans ce cas ». Toutefois, là encore, le Conseil se trouvera confronté à l’opposition de certains États membres, puisque le Conseil doit prendre cette décision à l’unanimité, et en absence d’opposition de l’ensemble des Parlements nationaux des membres de l’Union.
Certains acteurs politiques, et notamment le président de la République française Emmanuel Macron, recommandent une modification des traités européens. Cela pourrait justement être l’occasion de passer, en ce qui concerne la fiscalité, à une prise de décision à la majorité. Pourtant là encore, la révision doit être approuvée soit par une convention regroupant des représentants de tous les gouvernements, dans le cadre d’une procédure classique de révision, soit par le Conseil à l’unanimité, dans le cas d’une procédure simplifiée de révision.
Une révision globale des traités dépasse largement la question fiscale, et bien au-delà des pays octroyant des rescrits dommageables. Tous les États membres ne s’accordent pas sur l’opportunité d’une révision.
Enfin, quels que soient les facilités et les outils conventionnels pour lutter contre la concurrence fiscale dommageable, il peut sembler que chaque nouvelle mesure, chaque nouveau pas à l’encontre de ce fléau, est toujours suivi de trois pas en arrière. Le dumping fiscal que mettent en œuvre certains pays européens n’est pas le fruit d’une volonté de nuisance de ces États, mais plutôt une stratégie de survie et d’existence au sein de l’UE.
En somme, la variété des profils des États membres contraint certains à attirer, par tous les moyens, les investisseurs. Si l’UE ferme la porte de la fiscalité, ils devront trouver d’autres matières pour rester attractifs à côté des géants démographiques et économiques que sont les grandes puissances européennes.
Au-delà de la réflexion sur l’équité fiscale, les institutions et les États membres devraient s’interroger sur le principe de la libre concurrence au sein d’États si différents, qui pousse certains États à trouver par tous les moyens une solution pour survivre dans le marché.
La proposition de directive établissant des règles pour empêcher l’utilisation abusive d’entités écrans à des fins fiscales dite ATAD 3 (ou directive Unshell en anglais) figure sans aucun doute parmi celles qui suscitent le plus de discussion, au point que son adoption par le Conseil est sans cesse repoussée faute de compromis entre les délégations des États membres. L’objectif initial d’une transposition dans le droit interne des États membres au plus tard le 30 juin 2023 et d’une entrée en vigueur de la directive à partir du 1 er janvier 2024, est, de fait, décalé sine die.
Au moyen d’ATAD 3, l’UE entend introduire des indicateurs de substance minimale que les entités juridiques de l’UE doivent respecter pour avoir droit aux avantages des conventions fiscales et aux avantages fiscaux basés sur (la mise en œuvre par les États membres de l’UE) des directives de l’UE, telles que la dispense de participation. ATAD 3 deviendrait – si et une fois adoptée –
la suite d’ATAD 1 et ATAD 2 qui introduisaient précédemment des mesures ciblant l’évasion fiscale, telles que les sociétés étrangères contrôlées et les règles sur les dispositifs hybrides.
La proposition de directive prévoit un processus en plusieurs étapes que les entreprises devront franchir les unes après les autres si à l’issue d’une étape elles ne remplissent pas les critères de substance minimum prévus par la directive et ne peuvent, au moyen d’informations complémentaires, renverser la présomption d’absence de substance qui pèse sur elles.
Dans un premier temps, la proposition de directive établit une liste de caractéristiques, appelées « passerelles », afin de filtrer les entités dites à risque et donc susceptibles d’être utilisées de manière abusive à des fins fiscales. Ces caractéristiques, souvent associées à des entités avec peu ou pas de substance, portent sur la nature des revenus de l’entité (revenus issus à plus de 75 % de revenus passifs), sur leur origine (plus de 60 % des revenus issus de transactions transfrontières) et sur l’importance du recours à la sous-traitance. Ces entités sont alors tenues d’inclure diverses informations dans leur déclaration de revenus annuelle afin de tester leur niveau de substance au regard de certains indicateurs. Les sociétés ne satisfaisant pas à ces indicateurs seront alors présumées manquer de substance et qualifiées de sociétés écrans. Elles disposeront toutefois de la possibilité de renverser cette présomption en fournissant aux autorités fiscales des éléments complémentaires d’appréciation. Si elles échouent dans cette étape, des contre-mesures fiscales seront alors susceptibles de s’appliquer entraînant le refus de certains avantages fiscaux qui auraient été accordés en vertu des conventions fiscales et des directives de l’UE.
Cette proposition de directive a soulevé de nombreuses controverses parmi les États membres au nombre desquelles la question de la définition des critères de substance minimale, les conséquences fiscales de l’absence de substance ou encore la délivrance des certificats de résidence par les États. En conséquence, les délégations des États membres se sont récemment orientées, en guise de solution possible, vers une approche en deux étapes : une première étape au cours de laquelle la directive inclurait un échange automatique d’informations sur la base d’un certain nombre de marqueurs qui s’effectuerait en même temps que l’application de conséquences fiscales nationales lorsque cela serait jugé approprié, et une deuxième étape au cours de laquelle les bonnes pratiques relatives à l’utilisation des informations en vue d’appliquer les conséquences fiscales entre les États membres seraient échangées.
Aucun consensus n’a pu être atteint lors du dernier Conseil ECOFIN d’octobre 2023. Dans son rapport de décembre 2023 sur les questions fiscales, ce même Conseil a indiqué avoir proposé une solution alternative fondée sur des standards minimums de substance et une boîte à outils de conséquences fiscales, mais qu’il n’a pas été possible de parvenir à un accord acceptable par tous. Il semble que l’on s’oriente désormais vers un retrait de la proposition de directive et la préparation d’une nouvelle proposition de directive largement remaniée qui prendrait la forme d’une énième directive DAC 7 (directive relative à la coopération administrative).
Les discussions devraient se poursuivre sous l’égide de la présidence belge du Conseil de l’Union, cette dernière n’ayant pas fait figurer ce sujet parmi ses priorités.
Julien BRIOT-HADAR
En 2023, 117 000 travailleurs frontaliers français exercent au Luxembourg. Ce nombre s’étend d’année en année, à mesure que l’attractivité salariale, fiscale et économique du Grand-Duché du Luxembourg se renforce. En effet, leur nombre a augmenté de 5,67 % en deux ans. Une récente étude présentée par la fondation IDEA évoque la présence de 300 000 travailleurs frontaliers français au Grand-Duché en 2040.
Les départements du Nord-Est de la France comptent donc un nombre relativement important de travailleurs frontaliers. En Moselle, ils sont environ 80 000, tandis que la Meurthe-et-Moselle avoisine les 30 000 travailleurs frontaliers exerçant au Luxembourg. L’arrondissement de Briey en compte 27 060 à lui seul.
Ces travailleurs, qui traversent la frontière chaque jour pour se rendre sur leur lieu de travail, font face à de nombreux dysfonctionnements de transports et de services publics, et doivent supporter le sous-financement structurel, et croissant avec la suppression de la taxe d’habitation et de la cotisation sur la valeur ajoutée (CVAE) de leur territoire français de résidence.
Les communes françaises, quant à elles, doivent assumer l’intégralité des charges de logement, pour les travailleurs frontaliers, comme pour les travailleurs luxembourgeois qui choisissent de vivre de l’autre côté de la frontière. Ainsi, les loyers augmentent, et les communes peinent à assurer le bon fonctionnement de l’ensemble de leurs services publics. Pour cause, certaines d’entre elles accueillent des pourcentages de frontaliers représentatifs de 50 % voire 90 % de leur population active. Elles se transforment ainsi en cités-dortoirs où se mêlent précarité des travailleurs locaux et aisance financière des résidents frontaliers. La plupart de ces communes ont subi la désindustrialisation et la disparition des usines d’aciérie, engendrant chômage de masse et précarité économique. Délaissées, elles doivent faire face à la concurrence du Luxembourg, et à son attractivité économique qui vient absorber la force de travail du territoire. Le coût de la dégradation de nos conditions de travail est colossal pour la collectivité : de nombreux médecins, soignants et personnels hospitaliers ont ainsi été formés en France, et choisissent d’exercer au Luxembourg, bénéficiant de conditions de travail et d’un traitement salarial nettement plus avantageux.
Le Luxembourg est, quant à lui, un puissant bassin de main-d’œuvre. Il permet à de nombreux frontaliers de travailler pour un salaire généralement plus élevé que sur le territoire national. 47 % de la population active au Grand-Duché est frontalière et les trois quarts des travailleurs (étrangers, résidents et frontaliers) ont été formés à l’étranger (n’oublions pas que l’actuel Premier ministre, Luc Frieden, a obtenu une maîtrise en droit des affaires à l’université Paris-I Panthéon-Sorbonne, Xavier Bettel, l’ancien Premier ministre une maîtrise de droit public et européen à la faculté de droit de Nancy et Jean-Claude Juncker, son prédécesseur, une maîtrise de droit à la faculté de droit de l’université de Strasbourg). Sa proximité augmente donc la moyenne de revenu par habitant sur des territoires pauvres, mais sans empêcher la précarité de s’y installer.
La convention fiscale signée entre la France et le Luxembourg le 20 mars 2018 en vue d’éviter les doubles impositions permet au Luxembourg de prélever l’impôt des travailleurs frontaliers. En effet, la convention précise dans son article 14-1 que « Les salaires, traitements et autres rémunérations similaires qu’un résident d’un État contractant reçoit au titre d’un emploi salarié ne sont imposables que dans cet État, à moins que l’emploi ne soit exercé dans l’autre État contractant. Si l’emploi y est exercé, les rémunérations reçues à ce titre sont imposables dans cet autre État ». Si cet article a permis d’éviter les doubles impositions, il renforce dans le même temps les inégalités territoriales. En effet, contrairement aux mécanismes en vigueur dans d’autres conventions, aucun mécanisme de compensation fiscale n’est prévu dans la convention entre la France et le Grand-Duché. Dans les faits, ce traité est complètement déséquilibré en faveur du Grand-Duché : les frontaliers français payent leurs impôts au Luxembourg, qui ne reverse rien à la France.
Pire, les gouvernements français et luxembourgeois refusent de mettre en place un modèle de rétrocession fiscale et lui préfèrent un modèle de « codéveloppement », basé sur un financement commun projet par projet. Ce mode de financement, en place depuis la première conférence intergouvernementale (CIG) entre la France et le Luxembourg, contraint les communes françaises à espérer patiemment une participation financière du Luxembourg à des projets d’intérêt transfrontalier, or l’impôt non perçu par les communes françaises ne leur permet pas d’investir en ce sens. L’absence de rétrocession fiscale ne permet pas non plus aux communes d’assurer pleinement le bon fonctionnement de leurs services publics.
De nombreux élus locaux et associations considèrent que ce modèle de codéveloppement ne permet pas d’assurer, en l’espèce, la libre administration des communes, comme le prévoit pourtant l’article 72 de notre Constitution. L’association Au-delà des frontières, présidée par le conseiller départemental et maire honoraire de Metz, Dominique Gros, considère par exemple que « ce consensus entre la France et le Luxembourg constitue une erreur fatale qui coûte collectivement de plus en plus cher aux habitants de l’espace transfrontalier en termes de qualité de vie, de croissance, de confiance en l’avenir et met en péril l’attractivité globale du bassin d’emploi du Luxembourg ».
Par exemple, le Luxembourg projette à l’horizon 2035 un Tramway rapide qui reliera Luxembourg ville à Esch-sur-Alzette. La dernière halte de ce tram rapide se situera à quelques centaines de mètres à vol d’oiseau de la commune de Russange, en France. Mais le Luxembourg refuse de discuter avec la France d’une extension du tram rapide sur le territoire français, concédant seulement pour la partie française un bus. Pourquoi quand se dessine ce projet d’agglomération transfrontalière ne pas harmoniser les modes de transport ? Pourquoi la France n’aurait droit qu’à un bus, alors que le Luxembourg pourrait profiter de la fluidité, et du confort d’un tramway ? Pourquoi privilégier l’intermodalité à la fluidité des
déplacements ?
À la date de la dernière Commission inter-gouvernementale franco-luxembourgeois d’avril 2023, le Luxembourg n’a été en mesure d’engager que 21 millions d’euros de dépenses sur des projets de codéveloppement choisis par lui depuis avril 2018. En 5 ans, ces investissements luxembourgeois en territoire français ne représentent finalement que 35 € par an et par frontalier. Dérisoire et indigne, mais c’est le choix des deux gouvernements, français et luxembourgeois. Pourtant, le Luxembourg a les moyens d’assurer une rétrocession envers ses voisins. En 2022, les recettes perçues par les administrations fiscales, recettes largement dues au travail des frontaliers, ont augmenté de 18,1 %. Mais, aujourd’hui encore, avec un budget 2023 de 23 milliards d’euros, le Luxembourg refuse toujours d’investir 1,2 % de son budget pour aider à entretenir 25 % de sa force de travail.
D’autres modèles existent pourtant. En effet, le modèle de la compensation fiscale genevoise existe depuis 1973 et permet un développement territorial équilibré du territoire transfrontalier en reversant directement aux collectivités françaises une partie de l’impôt sur le revenu des travailleurs frontaliers. Ainsi, le canton de Genève a versé depuis 2018 plus de 1,5 milliard d’euros aux collectivités frontalières qui répartissent cette compensation au prorata du nombre de frontaliers résidents dans leurs communes, dont de nombreux Genevois. Et ceci alors même que le budget de Genève est plus de deux fois inférieur à celui du Luxembourg. Si les situations diffèrent, notamment en termes de financement des services publics et de gestion des transports pendulaires, le modèle de compensation fiscale mis en place reste un point d’appui indispensable pour le développement des territoires frontaliers.
Cette rétrocession n’est d’ailleurs pas incompatible avec le codéveloppement, puisque des projets peuvent tout de même être co-financés entre les deux États, mais sur des bases plus égalitaires. Cette convention est d’ailleurs très éclairante. Si on lit les considérants, on s’aperçoit qu’il y a, des deux côtés, cette idée de solidarité et d’intérêts communs.
Genève rétrocède l’équivalent de 3,5 % des salaires bruts des frontaliers aux collectivités frontalières (département et communes). Si nous rapportions ces chiffres au travail frontalier entre la France et le Luxembourg, le Luxembourg devrait rétrocéder 185 millions d’euros par an à la France. C’est ce modèle que nous proposons au gouvernement de prendre en compte.
Aujourd’hui, bon nombre de communes frontalières sont dans l’incapacité totale de redévelopper certaines friches, d’assurer le bon fonctionnement de leurs services publics ou de maintenir à flot leurs écoles et leurs hôpitaux. De nombreux lycées professionnels, pourtant vecteurs d’activité économique, ont été fermés par la région Grand-Est ou ont été relocalisés, faute de financements. Un mur transfrontalier va peu à peu s’ériger. En effet, l’impact positif de l’économie résidentielle lié à la présence de travailleurs frontaliers ne compense pas le manque de financement des communes frontalières. Le Luxembourg n’est pas le facteur unique d’appauvrissement, mais sa proximité et sa grande attractivité sur bien des aspects n’incitent pas les entreprises à s’implanter dans ces communes.
Les communes frontalières françaises deviennent ainsi de véritables cités-dortoirs : les services publics fonctionnent mal faute de financement et certains d’entre eux ont totalement disparu. Plus largement, c’est l’ensemble de l’économie locale qui pâtit de cette situation : le niveau de salaire des entreprises, notamment dans le secteur tertiaire, est relativement bas, et dans le même temps les loyers dans ces territoires explosent. Ainsi, ces territoires subissent une forte pénurie de main-d’œuvre dans le secteur des services, celle-ci étant absorbée par l’attractivité financière et économique du Luxembourg. Les travailleurs qui exercent malgré tout dans les territoires frontaliers français doivent généralement vivre à plusieurs dizaines de kilomètres de leur lieu de travail, pour espérer échapper aux prix exorbitants de l’immobilier.
Pourtant, la France assure déjà de nombreuses dépenses, dont le Grand-Duché fait l’économie. D’abord, eu égard au logement, les travailleurs français comme certains travailleurs luxembourgeois s’installent dans les communes frontalières françaises, qui supportent donc l’intégralité des coûts de logement, et plus de la moitié des coûts de transports, tandis que, depuis la suppression de la taxe d’habitation, les frontaliers locataires ne contribuent plus au budget de leur commune de résidence, alors même que les loyers sont particulièrement élevés en zone frontalière. En effet, le Luxembourg ne disposant pas de solutions de logement suffisantes, et proposant des salaires plus élevés qu’en France, bon nombre de frontaliers français comme luxembourgeois s’installent dans les cités-dortoirs frontalières. Ces dernières voient leurs loyers augmenter, mais restent privées de la taxe d’habitation. Les communes suffoquent, les habitants peinent à se loger, et les maires et présidents d’intercommunalités n’ont plus les moyens de rénover leur parc locatif.
Ensuite, sur l’indemnisation du chômage des frontaliers. Alors qu’une grande partie des Français versent tous les mois 9 % de leurs impôts à la caisse de chômage luxembourgeoise, le Luxembourg ne prend en charge que les 3 premiers mois de chômage des travailleurs français au Luxembourg, et la France doit supporter le reste. La somme totale se situerait alors entre 192 et 247 millions d’euros pour la France en 2022 (900-1 157 € par frontalier), à l’heure même où le gouvernement vient de revoir à la baisse les conditions d’indemnisation des privés d’emplois.
Par ailleurs, les frontaliers retraités cotisent tout au long de leur vie professionnelle à la Caisse de dépendance du Luxembourg (1,4 % du salaire), mais le gouvernement luxembourgeois refuse la moindre participation quand les problèmes de perte d’autonomie arrivent, si le bénéficiaire ne dispose pas d’une carrière complète au Luxembourg.
Enfin, c’est bien la France qui supporte la totalité des coûts de l’enseignement primaire, secondaire, supérieur voire des grandes écoles des milliers de frontaliers qui chaque année se déplacent quotidiennement vers le Luxembourg.
Le président de la République française, Emmanuel Macron, accepte ces inégalités, en refusant l’idée même de la rétrocession fiscale. Alors qu’il est interpellé depuis de nombreuses années par les élus locaux à ce sujet, il refuse de placer la rétrocession à l’ordre du jour des conférences intergouvernementales, et préfère user de complaisance vis-à-vis du gouvernement du Grand-Duché du Luxembourg, au mépris des revendications et des besoins exprimés à la frontière du territoire national. Les élus locaux, eux, ont peu de place dans les négociations des conférences intergouvernementales et ne participent qu’à la marge à l’établissement de l’ordre du jour, ce qui leur laisse peu de marge de manœuvre.
Le gouvernement affirme que l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) interdirait la mise en place de quelque rétrocession fiscale. Pourtant, l’OCDE, dans son modèle de convention fiscale n’interdit en aucune façon et en aucun terme le principe de la rétrocession fiscale ou financière. Pour preuve, le Luxembourg reverse chaque année aux communes frontalières belges, dans le cadre de la Convention Union économique belgo-luxembourgeoise (UEBL) créée en 1921, une compensation fiscale pour ses 45 000 travailleurs frontaliers qui se monte à plus de 45 millions d’euros depuis 2021.
Il est indispensable que le gouvernement œuvre pour une révision de la convention fiscale entre la France et le Luxembourg et pour permettre une rétrocession fiscale de la part du Luxembourg envers la France, sur le modèle de la convention entre la France et le canton de Genève, à hauteur de 3,5 % des salaires bruts, et au bénéfice des collectivités frontalières.
Charlotte LEDUC et Martine ÉTIENNE
L’évolution de la fiscalité européenne est consubstantielle à celle de la construction européenne et des États qui la composent. Ceux-ci ont une histoire riche et mouvementée, de la Grèce antique ou de l’Empire Romain en passant par le Moyen Âge jusqu’à la période actuelle.
Les « finances publiques » ont accompagné, parfois impulsé, ces évolutions. Elles se sont progressivement centralisées avec le passage de l’État féodal à l’État monarchique et à l’État moderne. Cette évolution s’est effectuée en raison de la nécessité de financer les guerres, elle a vu émerger la question de la représentation nationale, elle-même intimement liée au consentement à l’impôt. Ce dernier eut du mal à devenir ce qu’il est aujourd’hui : le pilier d’une société démocratique. En effet, la nécessité de lever l’impôt a abouti à la création de « Parlements » dès 1215 en Angleterre et 1302 en France, avec la création des États généraux par Philippe le Bel. En 1435, avec la création d’impôts permanents, les États généraux se sont toutefois privés de leur pouvoir. Ils ne seront plus convoqués par le roi de France. La théorie du consentement est réapparue à la fin du XVII e siècle. Pour John Locke notamment, il n’y a pas d’autorité légitime sans consentement. Le droit des citoyens à consentir l’impôt est d’ailleurs au fondement des révolutions américaine et française de la fin du XVIII e siècle. Le consentement à la fiscalité européenne et au transfert d’une part plus ou moins importante de souveraineté est l’un des enjeux majeurs de la construction de l’UE.
Les États modernes se sont construits sur deux attributs de souveraineté : battre monnaie et lever l’impôt. Le premier échappe désormais largement aux États membres de la zone euro. Le second est de plus en plus partagé entre l’UE et ses États membres. Il est également fortement impacté par la concurrence fiscale et sociale. Dans un contexte troublé marqué par un affaiblissement du consentement à l’impôt aux raisons multiples, il est essentiel de revenir sur la façon dont les politiques fiscales évoluent au sein de l’UE, avant d’envisager comment elles peuvent aider l’UE à se réorienter pour faire face aux défis de la période.
En matière de fiscalité, la construction et les politiques européennes ont profondément impacté les systèmes fiscaux et sociaux nationaux. Rappelons que la stratégie de l’UE consiste à orienter les politiques fiscales pour promouvoir le marché unique et la croissance économique. Ses objectifs sont notamment d’éliminer les obstacles fiscaux qui pénaliseraient les activités économiques transfrontalières, mais aussi de lutter contre les aspects délétères de la concurrence fiscale et de l’évasion fiscale, sans pour autant en remettre en cause le principe.
Plusieurs éléments contribuent à influencer le niveau et la structure des recettes et des dépenses publiques, et donc le niveau et l’efficacité des politiques publiques. Il en va évidemment ainsi, au sein de la zone euro, de la gouvernance budgétaire et du cadre visant à limiter les déficits et la dette publics. D’autres évolutions concernent très directement les politiques fiscales nationales, même s’il faut ici distinguer les prérogatives de l’Union de celles des États membres.
La fiscalité est en principe une prérogative des États membres, les compétences de l’UE étant officiellement limitées en la matière. Celles-ci s’inscrivent dans des politiques dont le but principal est de, garantir le bon fonctionnement du marché unique. C’est ce qui explique que les premières règles fiscales communes aient surtout concerné la fiscalité indirecte, puisque celle-ci affecte directement le prix des marchandises et des services et, par conséquent, le fonctionnement du marché unique.
Les textes le stipulent assez clairement. Dans le chapitre sur les dispositions fiscales (art. 110 à 113), le TFUE porte sur l’harmonisation de la législation relative à la taxe sur le chiffre d’affaires, les droits d’accises et les autres formes de fiscalité indirecte tandis que le chapitre relatif au rapprochement des législations (art. 114 à 118 du TFUE) couvre les taxes ayant un effet indirect sur la mise en place du marché unique.
Le cas de la TVA, impôt le plus rentable des États membres, est emblématique. Pour éviter des différences trop importantes dans les taux de TVA, ce qui pourrait fausser les échanges au sein du marché européen, un seuil minimal de 15 % pour le taux normal a été instauré en 1993 (directive d’octobre 1992). Au-delà de ce niveau, les États membres peuvent fixer le taux de TVA de leur choix. Ils peuvent également prévoir des taux réduits pour certaines activités ou certains produits et services (culture, presse, vélos électriques…) dans certaines limites déterminées par l’UE. La directive TVA du 28 novembre 2006 dresse ainsi la liste des produits ou activités sur lesquels les États membres peuvent appliquer un taux réduit.
Quant aux impôts directs, si l’UE n’a pas de compétence particulière dans ce domaine, ils sont toutefois soumis à la jurisprudence européenne. Celle-ci veille à éviter un traitement fiscal différencié entre les résidents d’un pays et les autres ressortissants européens. Cette jurisprudence européenne s’invite également dans l’application de dispositifs particuliers. Dans son arrêt Waldner c/ France du 7 décembre 2023, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) juge que l’ancien taux de la majoration de 25 % automatiquement applicable à un avocat non adhérent d’un organisme de gestion agréé entraînait une surcharge financière disproportionnée à l’encontre du requérant ayant introduit le recours. Il s’en est d’ailleurs suivi une série de contentieux que l’administration fiscale doit désormais traiter sur l’application de cette majoration. Cette construction jurisprudentielle peut donc conduire les États à revoir certaines de leurs dispositions fiscales nationales, de sorte que l’UE, sans en avoir les compétences, influe aussi la fiscalité directe. Et ce, alors que celle-ci est en principe une prérogative des États membres.
Au-delà de cette construction fiscale européenne complexe, le choix historique de l’UE a consisté à faire de la concurrence fiscale entre les États membres (et au-delà des frontières européennes) un mode de régulation, à la condition qu’elle ne soit pas faussée ni dommageable au bon fonctionnement du marché unique. Or, cette concurrence fiscale pèse sur les politiques fiscales et la capacité des États membres à « lever l’impôt ». Elle se traduit en effet, de longue date, par un double transfert. Le premier consiste à alléger les impôts des « bases mobiles » (les plus riches et les multinationales, dont les déplacements de richesses enjambent les frontières) vers les « bases immobiles » (l’immense majorité de la population et les PME, qui n’ont pas les mêmes possibilités), ce qui modifie profondément la répartition de la charge fiscale, donc des richesses. Le second consiste à baisser les moyens financiers alloués aux services publics et à la protection sociale, ce qui se traduit par une baisse de la qualité de l’éducation, un accès plus difficile au soin, une baisse de la couverture sociale, etc.
Si la question de la justice fiscale et sociale se pose légitimement, on peut également considérer que ce double transfert a un impact sur le marché unique lui-même. Certes, pour garantir son bon fonctionnement, l’UE s’est intéressée à la question de la fraude et de l’évasion fiscales, aux effets délétères tant pour les populations, les budgets publics (suivis de près par la Commission européenne) que pour le fonctionnement du marché unique, puisque ces pratiques fausses l’allocation des ressources. Reste que les progrès sont minces et lents à mettre en œuvre, les décisions en matière de fiscalité devant être prises à l’unanimité par les États membres. Il suffit ainsi que l’un d’eux, qui se juge plus attractif fiscalement que ses voisins, pour bloquer un projet. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle le projet d’harmonisation des bases de l’impôt sur les sociétés par exemple reste en suspens depuis plus de 20 ans…
L’UE s’est largement inspirée des travaux de l’OCDE qui, dans son plan « BEPS » visant l’érosion des bases fiscales, a par exemple favorisé la mise en œuvre d’un système d’échanges automatiques d’informations et d’une imposition mondiale minimale au taux de 15 % des bénéfices des multinationales. Mais outre que ce dispositif peut être contourné via les territoires qui ne l’appliqueront pas, il fait déjà l’objet d’un détricotage qui l’éloignera de son but initial, au demeurant déjà bien modeste.
L’évitement de l’impôt a fait l’objet de plusieurs directives. Sans prétendre ici à l’exhaustivité, on citera quelques exemples. La directive relative à l’évasion fiscale adoptée en juin 2016 et appliquée depuis janvier 2019 vise à empêcher les entreprises de développer des dispositifs hybrides leur permettant de diminuer leurs charges fiscales en profitant des écarts de législations entre les pays (membres ou tiers). En juillet 2020, la Commission européenne a adopté un paquet de mesures. Celui-ci comporte un plan d’action de 25 initiatives, une révision de la directive relative à la coopération administrative (DAC 7, visant à garantir l’échange automatique d’informations entre les États membres sur les recettes générées par les vendeurs sur les plateformes numériques, qu’elles soient situées ou non dans l’Union), une proposition de nouvelle révision de la directive relative à la coopération administrative (DAC 8, sur l’échange d’informations sur les crypto-actifs et la monnaie électronique) et une communication relative à la bonne gouvernance fiscale dans l’Union et au-delà. En 2021, l’UE a adopté après de longues négociations (le texte avait été proposé par Commission européenne en 2016) une directive rendant obligatoire, pour les entreprises réalisant plus de 750 millions d’euros de chiffre d’affaires par an, de publier leurs revenus, bénéfices, effectifs et impôts payés dans chaque pays où elles sont présentes. Souvent dénommé « reporting pays par pays », ce dispositif doit s’appliquer aux exercices ouverts à compter du 1 er juillet 2024. Il devrait permettre davantage de transparence et d’identifier si les impôts que ces grands groupes paient dans un État correspondent à l’activité économique qu’elles y exercent. En matière de fiscalité, l’UE a donc évolué, elle ne peut plus se contenter du « code de bonne conduite » non contraignant adopté en 1997 qui visait certains régimes préférentiels. Le cadre européen est donc beaucoup plus prégnant qu’auparavant.
Le mouvement d’européanisation de la fiscalité devrait se poursuivre. Plusieurs projets montrent par ailleurs que les compétences fiscales de l’UE devraient sensiblement s’accroître à l’avenir, au point d’interroger sur la nature même de la construction européenne. Certes, l’harmonisation fiscale est bien loin d’être achevée et n’a d’ailleurs jamais été un objectif, la stratégie fiscale de l’UE prenant davantage les allures d’une coordination dont le but reste inchangé : favoriser le bon fonctionnement du marché intérieur. Il n’empêche, la tendance est nette.
L’extension de la compétence fiscale de l’UE pourrait provenir de l’évolution des ressources fiscales propres de l’Union et de la création d’impôts européens. Le premier du genre pourrait être le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF ou Carbon Border Ajustement Mecanism, CBAM) proposé dans le paquet climat présenté le 14 juillet 2014 par la Commission européenne dans le but d’atteindre les objectifs du Green Deal et finalement adopté en décembre 2022. Le mécanisme devrait entrer en vigueur en 2032, il a pour objectif la réduction du bilan carbone lié aux entreprises qui exportent vers l’Union. Les biens importés se verront donc taxés lorsque le « prix carbone » sera faible ou nul. L’UE se retrouverait ainsi de facto à « lever l’impôt » et, par conséquent, à accélérer potentiellement l’intégration européenne.
Le 12 septembre dernier, elle a en effet proposé une directive destinée à remplacer celles proposées en 2016 relatives à l’ACIS et à l’ACCIS, laquelle visait à harmoniser l’imposition des sociétés en Europe. L’initiative datait du début des années 2000, mais s’était heurtée aux désaccords entre États membres. L’objectif de cette nouvelle directive baptisée « BEFIT » (Business in Europe : Framework for Income Taxation ou « Entreprises en Europe : cadre pour l’imposition des revenus ») demeure la mise en place un nouvel ensemble unique de règles pour déterminer la base d’imposition des groupes d’entreprises. La Commission européenne justifiait sa proposition en estimant qu’il fallait « instaurer un ensemble commun de règles qui permettent aux entreprises de l’UE de calculer, à partir d’une formule, leur base imposable tout en garantissant une répartition plus efficace des bénéfices entre les pays ». Cette directive, une fois adoptée par le Conseil, pourrait entrer en vigueur le 1 er juillet 2028. Au sein de l’UE, où cohabitent 27 régimes fiscaux nationaux différents, l’idée d’un cadre commun qui compléterait le taux d’imposition minimal est intéressante, quels que soient les objectifs qu’on lui assigne, qu’il s’agisse de permettre une répartition plus équitable des droits d’imposition entre les États membres, de réduire les charges administratives, de supprimer les obstacles fiscaux ou encore de limiter l’évasion fiscale.
D’autres projets ont vu le jour. Le 19 juin 2023, la Commission européenne publiait sa proposition de directive dite FASTER ( Faster and Safer Relief of Excess Withholding Taxes ) dont l’objectif est d’améliorer les procédures de remboursement de retenue à la source au sein de l’UE. Elle a également publié, le 12 septembre 2023, une proposition de directive visant à harmoniser les règles en matière de fixation des prix de transfert au sein de l’UE et à garantir une approche commune des prix de transfert.
Les multiples affaires révélant l’ampleur de l’évitement fiscal ont incontestablement poussé les instances européennes et nombre d’États membres à prendre des mesures (LuxLeaks, Panama Papers, Paradise Papers, etc.).
Si les débats sont nourris sur l’efficacité et la pertinence de ces projets, ils portent toutefois rarement sur l’évolution de l’UE. La souveraineté fiscale nationale est le pendant de la souveraineté en matière de dépenses en matière de protection sociale, d’éducation nationale, de sécurité, etc. De
plus, avec l’euro et la politique monétaire européenne, les États-nations de la zone euro sont privés de l’outil monétaire (ils ne peuvent plus jouer sur les taux d’intérêt ni dévaluer). Il leur reste donc la fiscalité et les cotisations sociales pour agir sur le pouvoir d’achat notamment, même si tout cela est encadré par des règles sur les déficits excessifs qui limitent leur autonomie. Le débat devrait logiquement porter non seulement sur l’orientation des politiques européennes, mais également sur la construction de l’UE. À l’image de l’évolution des finances publiques des États du Moyen Âge jusqu’au XX e siècle, va-t-on vers une européanisation des finances publiques basée sur une accélération de la coordination en matière d’impôts de toute nature, directs et indirects ? La question est d’importance, elle mérite d’être posée.
En matière de fiscalité, si des mesures ont été prises et que d’autres se profilent, l’absence de remise en cause du modèle de la concurrence fiscale et sociale empêche de prendre des mesures à la hauteur des enjeux de la période. Les inégalités augmentent, les moyens manquent pour faire face au réchauffement climatique, le mécontentement social capté par les mouvements d’extrême droite, etc. L’UE est devant un choix historique. Le premier consiste à poursuivre sur la même lancée, ce qui empêchera de relever les défis de la période et favorisera une extrême droite climato-sceptique, nationaliste et profondément réactionnaire. Cela signifierait le début de la fin de la construction européenne. Le second consiste à réorienter l’UE et à faire des questions sociales et écologiques une priorité.
Pour ce faire, il est tout à fait possible d’améliorer les projets ou dispositifs existants. L’harmonisation des bases de l’impôt sur les sociétés pourrait être assortie de l’instauration d’un impôt européen sur les bénéfices et d’un « taux plancher » tandis qu’une taxation unitaire des multinationales compléterait le dispositif (chaque État prélèverait une quote-part du bénéfice consolidé sur la base de critères objectifs : chiffre d’affaires, immobilisations, nombre de salariés). Une véritable harmonisation du système de TVA intracommunautaire permettrait de neutraliser la fraude carrousel et pourrait s’accompagner d’un taux plafond à ne pas dépasser. Un impôt européen sur la fortune et une taxe sur l’ensemble des transactions financières permettraient d’instaurer davantage de progressivité et de dégager des ressources utiles pour les investissements publics. Un renforcement de la coopération en matière de lutte contre l’évitement fiscal pourrait prévoir des procédures de contrôle harmonisées et la capacité pour le procureur européen de prononcer des sanctions. Le tout prendrait la forme d’un « serpent fiscal européen » qui, à l’instar du « serpent monétaire européen » destiné à limiter les écarts dans les fluctuations monétaires, limiterait les écarts de fiscalité. En réorientant son action vers la justice fiscale, sociale et écologique, la légitimité de l’UE en sortirait renforcée. Et le consentement à une politique fiscale européenne également.
Vincent DREZET
Le 18 janvier 2024, les négociateurs du Parlement et du Conseil sont parvenus à un accord provisoire sur la 6 e directive anti-blanchiment (LAM) et le règlement de l’UE sur le règlement unique. Ces dispositions s’appliqueront aux banques et autres entités pour protéger le marché intérieur de l’UE contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme. Le renforcement des normes réglementaires implique une révision des méthodes de supervision et de contrôle. Face à la complexification des montages financiers, les algorithmes d’IA jouent un rôle crucial dans la détection, l’analyse et la prévention des activités suspectes.
Les normes en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (LCB-FT) sont nombreuses en Europe, mais souffrent d’un manque d’harmonisation. Bien qu’en théorie les législations nationales doivent suivre les principes de la dernière directive 2018/843 (5 e directive), il est important de noter que les règles de l’UE ne sont pas d’application directe pour l’instant. De surcroît, la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme est menée par le biais des autorités propres aux États membres qui peuvent avoir des méthodes différentes de contrôle. Dans ce contexte, la rigueur avec laquelle les États
poursuivent les délits et sanctionnent les manquements varie. Édouard Fernandez-Bollo, membre du conseil de surveillance à la Banque centrale européenne (BCE) expliquait que « face à des circuits de blanchiment transnationaux très efficaces nous avons besoin d’une approche unifiée du côté de la prévention »4. Pour garantir une harmonisation des dispositifs LCB-FT et des pratiques de supervision, l’UE n’a pas eu d’autre choix que d’agir directement à travers un règlement européen d’application direct.
Les règles de l’UE en matière de LCB-FT se distinguent par leur structuration sous forme de directives, avec la promulgation de la toute première en 1991. Le futur règlement relatif à la lutte anti-blanchiment représente donc la première initiative de norme harmonisée au sein de l’UE, visant à assurer une mise en application cohérente et uniforme des règles à travers les États membres, sans nécessité de transposition nationale. Il vise à prévenir l’utilisation du système bancaire et financier aux fins du blanchiment de capitaux ou du financement du terrorisme.
La 5 e directive a étendu dans un premier temps le champ d’application de la directive (UE) 2015/849 pour y inclure les prestataires de services d’échange entre monnaies virtuelles et monnaies légales ainsi que les prestataires de services de portefeuilles de conservation6. Cette dynamique sera complétée par le règlement européen sur les marchés de crypto-actifs ( Markets in Cryp- to-Assets , ou MiCA ) applicable à partir du 30 décembre 2024. Mica fixe des exigences pour les prestataires de services de crypto-actifs souhaitant demander un agrément pour fournir leurs services dans le marché unique. Mica a également introduit une définition des crypto-actifs et des prestataires de services liés aux crypto-actifs englobant un éventail plus large d’activités. Ces prestataires seront d’ailleurs soumis au nouveau règlement anti-blanchiment7 .
De leur côté, les mesures de vigilances renforcées sont désormais applicables aux relations de correspondants transfrontaliers, c’est-à-dire, aux relations avec un établissement répondant d’un pays tiers ayant un caractère continu et répétitif8 . Cette approche a déjà été initiée au sein de la 5 e directive afin d’exiger des établissements financiers dans le cadre de « relations transfrontalières de correspondant qui impliquent l’exécution de paiements avec un établissement client d’un pays tiers, […] les mesures de vigilance à l’égard de la clientèle prévues à l’article 13, au moment de nouer une relation d’affaires »9. Le règlement anti-blanchiment complète ces règles et crée un article 30 a dédié aux mesures spécifiques de diligence raisonnable renforcée pour les relations de correspondants transfrontaliers des prestataires de services liés aux crypto-actifs10. Ces obligations comprennent notamment les éléments suivants : « (a) déterminer si l’entité mise en cause est titulaire d’une licence ou d’un enregistrement ; … obtenir l’approbation de la direction générale avant l’établissement de la relation de correspondance ; (e) documenter les responsabilités respectives de chaque partie à la relation de correspondance »11.
Enfin, des mesures de vigilances renforcées sont prises « lorsqu’une relation d’affaires implique le traitement d’actifs d’un montant égal ou supérieur à 5 000 000 € par le biais de services sur mesure pour un client détenant au total un minimum de 50 000 000 €, qu’il s’agisse de patrimoine financier ou investissable ou de biens immobiliers, ou d’une combinaison des deux, à l’exclusion de la résidence privée de ce client » 12 . La 5 e directive, à ce propos, ne mentionnait pas explicitement de montant mais imposait d’identifier « dans la mesure du raisonnable, le contexte et la finalité de toute transaction qui remplit au moins une des conditions suivantes : il s’agit d’une transaction d’un montant anormalement élevé » 13.
Eu égard au paiement en espèces, au sein de l’UE, la 4 e directive appliquait déjà une restriction « dans le cas de personnes négociant des biens, lorsqu’elles exécutent, à titre occasionnel, des transactions en espèces d’un montant égal ou supérieur à 10 000 €, que la transaction soit exécutée en une seule ou en plusieurs opérations qui semblent être liées »14. En outre, l’accord provisoire introduit, en son article 59, une limite selon laquelle « les personnes qui font le commerce de marchandises ou qui fournissent des services ne peuvent accepter ou effectuer un paiement en espèces que jusqu’à un montant de 10 000 € ou un montant équivalent en monnaie nationale ou étrangère, que la transaction soit effectuée en une seule opération ou en plusieurs opérations qui apparaissent liées ». Il précise que cette limite ne devrait pas s’appliquer aux paiements entre personnes physiques qui n’agissent pas dans le cadre d’une fonction professionnelle.
À cet égard, les entités assujetties devront désormais a minima procéder selon l’article 15 du projet de règlement à « l’identification et à la vérification du client et du bénéficiaire effectif lors de transactions occasionnelles en espèces d’une valeur d’au moins 3 000 € »15. Le texte souhaite d’ailleurs « s’appuyer sur des exigences harmonisées pour l’identification des clients et la vérification de leur identité » 16 et réduire les divergences nationales. Cette tâche a été concrétisée avec l’article 18 du règlement qui détaille spécifiquement chaque élément propre aux différentes situations : personne physique, personne morale, trust.
Quant aux bénéficiaires effectifs, le règlement entend harmoniser les règles de l’UE relatives aux bénéficiaires effectifs. À ce propos, il reprend deux éléments d’identifications présents à l’article 13 de la 4 e directive 17 : « la structure de propriété et de contrôle » et repris à l’article 42 du règlement anti-blanchiment. Cette notion décrit « la manière dont une entité juridique est indirectement détenue ou contrôlée, ou dont une construction juridique est indirectement contrôlée, en raison des relations qui existent entre les entités juridiques ou les constructions juridiques à plusieurs niveaux » 18 . Cette démarche consiste à déterminer les bénéficiaires effectifs au sein de l’entité concernée ou de diverses formes d’entités, y compris celles basées hors de l’UE, mais opérant au sein de l’Union ou y possédant des biens immobiliers.
En principe, un seuil de plus de 25 % des actions ou des droits de vote ou de toute autre participation est appliqué. Toutefois, le règlement est venu préciser l’idée introduite au sein de l’article 3, 6°, a) i) de la 4 e directive en permettant d’abaisser ce seuil. La Commission « évalue si les risques associés à ces catégories d’entités juridiques sont pertinents pour le marché intérieur et, lorsqu’elle conclut qu’un seuil inférieur est approprié pour atténuer ces risques, identifie au moyen d’un acte délégué : (a) les catégories d’entités juridiques qui sont associées à un risque plus élevé de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme et pour lesquelles un seuil inférieur s’applique ; (b) les seuils correspondants » 19 . Dans ce cas, conformément à l’article 42 « le seuil inférieur est fixé à un maximum de 15 % de la participation dans l’entité juridique, sauf si la Commission conclut, sur la base du risque, qu’un seuil plus élevé serait plus proportionné, lequel est en tout état de cause fixé à moins de 25 % ».
L’accord apporte également en son article 42 d des précisions sur les règles relatives aux structures de propriété et de contrôle complexes, afin d’éliminer la possibilité de dissimulation derrière des couches successives de propriété d’entreprises (situations de structure multicouche).
En outre, l’article 56 du règlement portant sur la conservation des dossiers rappelle l’obligation de conservation de l’ensemble des éléments liés à la relation d’affaires pour une période « cinq ans à compter de la date de cessation de la relation d’affaires ou de la date d’exécution de la transaction occasionnelle, ou de la date du refus de nouer une relation d’affaires ou d’exécuter une transaction occasionnelle » 20 . Les autorités peuvent exiger une période de conservation de cinq ans supplémentaires au maximum au cas par cas si cela est justifié par des impératifs LCB-FT 21 .
Enfin, l’accord impose l’enregistrement rétroactif, à partir du 1 er janvier 2014, des bénéficiaires effectifs pour toutes les entités étrangères détenant des biens immobiliers 22 .
Concernant les pays tiers à haut risque, au sein de la 5 e directive, l’article 18 bis dispose que les relations d’affaires ou les transactions impliquant des pays tiers à haut risque doivent faire l’objet de mesures de vigilance renforcées 23 . La proposition de règlement reprend cette exigence et précise en son article 23 ce que comprend la notion de pays à haut risque à travers trois cas :
« (a) des lacunes stratégiques importantes ont été constatées dans le cadre juridique et institutionnel de la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme du pays tiers ;
(b) des insuffisances stratégiques significatives ont été constatées dans l’efficacité du système de LBC/FT du pays tiers pour faire face aux risques de blanchiment de capitaux ou de financement du terrorisme ;
(c) les déficiences stratégiques significatives identifiées aux points a) et b) sont de nature persistante et aucune mesure visant à les atténuer n’a été prise ou n’est en train de l’être » 24 .
Lorsqu’un pays tiers est identifié conformément aux critères, les entités assujetties appliquent les mesures de vigilance renforcées.
La Commission établira l’évaluation du risque en s’appuyant sur les listes fournies par le Groupe d’action financière (GAFI).
Face à un niveau de risque élevé, des mesures correctives spécifiques, soit au niveau national soit au niveau de l’UE, seront justifiées et devront être mises en place par les entités concernées ou par les États membres eux-mêmes.
Cette directive relative est intégrée au « corpus réglementaire unique » en matière de LCB-FT. Elle complétera la 5 e directive relative à la lutte contre le blanchiment de capitaux, adoptée en 2018. Tous les États membres possèdent une cellule de renseignements financiers (CRF) dont la mission est « de recueillir et d’analyser les informations qu’elle reçoit dans le but d’établir des liens entre les transactions suspectes et les activités criminelles sous-jacentes » 26 .
La 5 e directive relevait la problématique du défaut d’harmonisation concernant leurs fonctions, compétences et pouvoirs. L’accord vient donc renforcer les prérogatives attribuées à l’autorité en introduisant des normes contraignantes au bénéfice des CRF. L’article 17 reprend la 4 e directive en confirmant l’habilitation des CRF à suspendre ou refuser de consentir à une transaction et suspendre ou surveiller un compte ou une relation d’affaires ainsi que de communiquer les résultats aux autorités compétentes afin de prendre des mesures adéquates 27 .
Cela se traduit à l’article 18, par un droit d’accès de manière immédiate et directe à une large gamme d’informations, y compris financières, administratives, répressives, fiscales, ainsi que des données sur les avoirs gelés en vertu de sanctions financières, les transferts de fonds et de crypto-actifs entre autres 28 .
Les articles 19 et 19 bis du texte confirment le pouvoir des CRF dans la transmission d’informations aux autorités compétentes engagées dans la LCB-FT, y compris dans le domaine des enquêtes, des poursuites et des décisions juridictionnelles. Les CRF renforceront en vertu de l’article 24 leur coopération dans les dossiers transfrontaliers avec les CRF des États membres concernés par les déclarations d’activités suspectes.
L’article 23 vient moderniser le réseau FIU.net afin de faciliter un partage rapide des informations transfrontalières.
Quant à l’accès au registre des bénéficiaires effectifs, la 5 e directive prévoyait déjà l’obligation d’intégrer les informations sur les bénéficiaires effectifs au sein d’un registre central. Ces registres sont essentiels pour lutter contre l’utilisation abusive des sociétés et autres entités juridiques ainsi que des constructions juridiques.
La 5 e directive était assez vague sur les modalités de contrôle, mais exigeait que les « informations conservées dans le registre central visé au paragraphe 3 soient adéquates, exactes et actuelles, et mettent en place des mécanismes à cet effet » 29 . Parmi ces mécanismes figure l’obligation pour les entités assujetties et, le cas échéant « les autorités compétentes de signaler toute divergence qu’elles rencontrent entre les informations sur les bénéficiaires effectifs disponibles dans le registre central et les informations sur les bénéficiaires effectifs qui sont à leur disposition » 30 . La 6 e directive est venue compléter cette obligation en créant un article 10 dédié au registre central. Il dispose que les « entités chargées des registres centraux vérifient, dans un délai raisonnable à compter de la présentation des informations sur les bénéficiaires effectifs et régulièrement par la suite, que ces informations sont adéquates, exactes et à jour. L’étendue et la fréquence de cette vérification sont proportionnées aux risques associés aux catégories de personnes morales et de constructions juridiques identifiées » 31.
Cet article 10 impose que les entités ou constructions juridiques qui sont associées à des personnes ou entités faisant l’objet de sanctions financières ciblées soient signalées. Il octroie aussi aux autorités responsables des registres le droit d’effectuer des inspections sur site chez les entités légales
enregistrées si l’exactitude des informations fournies est mise en doute.
De plus, l’accord étend le champ d’accès prévu par la 5 e directive. Il comprenait les autorités publiques, les autorités de surveillance, les autorités d’enquête ou de poursuite pénale 32 . Dorénavant, l’article 12 de la 6 e directive étend cette liste non seulement aux autorités gouvernementales et de régulation ainsi qu’aux entités réglementées, mais aussi aux personnes du public ayant un intérêt légitime, y compris les journalistes et les organisations de la société civile. Pour aider à enquêter sur les schémas criminels impliquant des propriétés immobilières, l’article 16 de la directive introduit une originalité en assurant que les registres fonciers seront accessibles aux autorités compétentes via un point d’accès centralisé. Ce système offrira des détails tels que le prix, le type de propriété, l’historique de celle-ci, et les charges qui y sont associées, comme les hypothèques, les restrictions judiciaires et les droits de propriété. Cette approche complète l’article 32 ter de la 5 e directive qui selon une vision large octroyait « l’accès aux informations permettant l’identification, en temps utile, de toute personne physique ou morale ».
La BCE ne disposant pas de pouvoirs d’enquête en matière de blanchiment, il s’avère que la création d’une nouvelle autorité unique apparaissait comme la solution la plus adéquate 33 . Ainsi, les représentants du Conseil et du Parlement européen ont voté le 22 février 2024 pour que le siège de l’Autorité de lutte contre le blanchiment de capitaux (ALBC) ou AMLA ( anti-money laundering authority ) soit basé à Francfort. L’Autorité débutera ses fonctions dès la mi-2025. Cette Autorité sera chargée d’améliorer la surveillance en matière de LCB-FT dans l’UE, mais visera à soutenir la coopération entre les CRF.
Au regard de l’ampleur transnationale de la criminalité financière, la mise en place d’une nouvelle autorité consolidera la robustesse du dispositif de LCB-FT. Cette avancée s’articule autour de l’établissement d’une synergie avec les autorités de supervision nationales, garantissant l’adhésion du secteur financier aux exigences réglementaires. Par ailleurs, l’autorité assumera une fonction d’appui auprès du secteur non financier, tout en coordonnant les CRF.
L’Autorité disposera d’un conseil général qui en vertu de l’article 46 sera composé de représentants des superviseurs et des cellules de renseignement financier de tous les États membres. Il disposera aussi, selon l’article 53, d’un conseil exécutif « responsable de la planification générale et de l’exécution des tâches confiées à l’Autorité » et composé d’après l’article 52 du président de l’ALBC et de cinq membres indépendants à temps plein.
L’accord provisoire confère à l’ALBC à travers son article 12 des pouvoirs de surveillance directe à destination des établissements de crédit et des établissements financiers, dont les fournisseurs de services de crypto-actifs, s’ils sont considérés comme étant à haut risque ou exerçant des activités transfrontières.
D’après l’article 13, l’ALBC se chargera d’identifier et de sélectionner les établissements de crédit ainsi que les institutions financières qui manifestent un risque significatif à l’échelle transnationale. Cette démarche aboutira à l’établissement d’une surveillance rapprochée des entités identifiées, impliquant l’intervention de groupes de surveillance conjoints. Selon les termes de l’accord initial, l’ALBC aura pour mandat de superviser un nombre pouvant atteindre jusqu’à 40 entités lors de cette première phase de sélection, ciblant ceux dont les opérations s’étendent à travers plusieurs États membres et représentent ainsi un enjeu majeur pour l’intégrité financière au niveau européen.
En ce qui concerne les entités assujetties non sélectionnées, la surveillance en matière de LBC-FT continuerait d’être exercée principalement au niveau national.
Enfin, l’Autorité devra conformément à l’article 11 établir et mettre à jour une base de données centrale des informations collectées. Cette base est composée d’informations « issues des activités de l’Autorité dans le domaine du contrôle direct ». La lecture de l’article 6, offre une vision
des pouvoirs de l’ALBC à l’égard des entités obligées. Elle dispose de « pouvoirs de surveillance et d’enquête prévus aux articles 16 à 20 et du pouvoir d’imposer des sanctions pécuniaires et des astreintes prévues aux articles 21 et 22 ». Elle peut donc prendre des mesures contraignantes à l’égard des entités sélectionnées. Plus précisément, l’Autorité dispose à l’encontre des contrôleurs et autorités de contrôles des pouvoirs suivants :
« (a) d’exiger la présentation d’informations ou de documents, y compris des explications écrites ou orales, nécessaires à l’exercice de ses fonctions, notamment des informations statistiques et des informations concernant les processus ou les dispositifs internes des autorités nationales de surveillance et des autorités de surveillance, y compris en accédant aux questionnaires structurés communs et à d’autres outils en ligne et hors ligne mis au point par l’Autorité, et en extrayant ces informations ;
(b) de publier des lignes directrices et des recommandations ;
(c) d’émettre des demandes d’action et des
instructions sur les mesures à prendre à l’égard des entités obligées non sélectionnées ;
(c bis) effectuer une médiation à la demande d’une autorité de surveillance financière ou d’une autorité de surveillance non financière ;
(cb) régler les désaccords entre les autorités de surveillance financière avec effet contraignant sur demande, y compris dans le cadre des collèges de surveillance de la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme ».
Le renforcement juridique implique l’utilisation de systèmes automatisés, mais plus encore, des systèmes intelligents capables de répondre aux exigences croissantes et complexes de la législation. La jurisprudence de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) est stricte à ce sujet et sanctionne l’absence de « moyens humains lui permettant de traiter dans un délai satisfaisant les alertes activées par son dispositif de détection des opérations atypiques, ni de moyens techniques adaptés à la surveillance de son activité de correspondance bancaire » 34 . Désormais, l’accent est mis sur le recours aux algorithmes d’IA afin d’améliorer l’efficacité du processus de détection et de traitement des opérations suspectes. À travers les modèles d’apprentissage continu, il est possible de reconnaître des transactions suspectes tout en garantissant le flux ininterrompu des transactions légitimes. Les experts recommandent l’utilisation conjointe de modèles d’apprentissage automatique et de modèles opérationnels pour prédire les activités suspectes tout en réduisant le nombre de fausses alertes. Cette approche nécessite une collaboration entre le compliance officer et les développeurs. Le compliance officer joue un rôle essentiel dans la formation de l’outil d’IA. Cette technique fait appel à des algorithmes d’apprentissage supervisé au sein de « réseaux de neurones », intégrant divers champs d’expertise tels que les statistiques, l’apprentissage automatique ( machine learning ), l’apprentissage profond ( deep learning ), le traitement automatique du langage naturel, la reconnaissance d’images ( optical character recognition ), la prédiction, l’optimisation, et d’autres domaines connexes.
Les obligations relatives à la LCB-FT imposent aux acteurs des secteurs bancaire et financier de collecter des données sur les individus (clients réguliers, occasionnels, porteurs de parts, etc.) à travers une approche par les risques. La dimension internationale des réseaux impliqués dans le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme, associée au volume considérable de données échangées, impose un traitement « intelligent ». L’entraînement des algorithmes d’IA permet d’automatiser ces requêtes d’informations. La création d’un jeu de données de référence de qualité et en quantité suffisante constitue l’élément clé. Cette recherche d’informations se base sur des sources internes et externes.
Les sources internes correspondent aux informations collectées à l’entrée en relation et actualisées tout au long de la relation d’affaires (C. mon. fin., art. L. 561-5-1 et R. 561-12). À cela s’ajoutent toutes les opérations internes (actifs, liquidités, prêts, paiements, etc.). Les sources externes correspondent au même titre que l’administration fiscale, à la possibilité pour les algorithmes de collecter et d’utiliser les contenus librement accessibles sur internet et sur les réseaux sociaux pour analyser les activités, la réputation, les sanctions, etc. La difficulté réside dans le fait que ces données sont non structurées. Elles présentent des défis significatifs pour les manipuler au sein des infrastructures informatiques traditionnelles. Les techniques d’apprentissage non supervisées vont permettre de traiter et d’analyser des données non structurées en découvrant des patterns , des groupements ou des structures cachées sans avoir besoin de données étiquetées ou classifiées au préalable. L’une des techniques les plus courantes de l’apprentissage non supervisé est le clustering (ou regroupement) qui consiste à partitionner l’ensemble des données en groupes (clusters) sur la base de la similarité des caractéristiques des données 35 . Ce processus permet d’identifier des structures ou des motifs récurrents dans les données sans structuration préalable, facilitant ainsi la reconnaissance de tendances, de comportements ou de catégories inhérents aux données analysées.
Après l’agrégation des données, l’étape cruciale consiste à les interpréter, c’est-à-dire à en distiller l’essence afin d’identifier d’éventuels risques. Durant cette étape, les algorithmes sont entraînés à raisonner à l’image de l’esprit humain. Ils vont collecter des preuves d’infractions afin d’attribuer la responsabilité des actes à leur auteur. Les systèmes traditionnels basés sur des règles préétablies ont démontré leurs limites en générant un volume élevé de faux positifs, ce qui entrave l’efficacité opérationnelle et augmente les coûts d’analyse des institutions bancaires et financières. Un outil d’IA bien paramétré contribue progressivement à la détection de véritables alertes et réduit les faux positifs. Pour arriver à ce résultat, les algorithmes analysent un vaste ensemble de données pour apprendre et prédire sur la base de tendances et de comportements historiques. Les modèles d’IA utilisent des caractéristiques telles que le contexte de la transaction, la fréquence, le montant et le réseau de relations entre les entités pour distinguer plus précisément les activités légitimes, des activités suspectes. En appliquant des techniques telles que l’apprentissage supervisé pour les activités illicites connues et l’apprentissage non supervisé pour la détection de nouveaux comportements suspects, l’IA réduit drastiquement les fausses alertes.
L’implémentation d’une « couche d’IA » à l’automatisation déjà existante permet de détecter à travers les opérations bancaires et financières certains « signaux faibles ». Un signal faible se définit comme une information qui semble insignifiante au premier abord, mais qui, une fois interprétée, peut activer une alerte. Une fois les populations séparées (terroristes avérés ou blanchisseurs et clients non suspects), l’utilisation de l’IA dans le traitement des données permet de détecter des événements difficiles à saisir par l’analyse humaine. L’avantage de l’apprentissage supervisé réside précisément dans sa capacité à s’attaquer à la compréhension de tels phénomènes en se basant sur des événements ciblés. Si le modèle d’algorithme d’apprentissage automatique dispose d’une base d’apprentissage conséquente, il sera capable de développer un modèle prédictif. Ainsi, il cherche à identifier la présence de fraude en analysant les liens entre différents indicateurs dans le jeu de données. Cependant, la difficulté réside dans la qualité des données initiales. Peut-on réellement s’assurer que, avec un échantillon limité, le modèle a pu intégrer de manière exhaustive les nuances et les subtiles indications de fraude, ces signaux faibles, afin d’identifier avec précision de nouveaux cas de fraude ?
Selon la définition de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL), l’explicabilité désigne « la capacité de mettre en relation et de rendre compréhensible les éléments pris en compte par le système d’IA pour la production d’un résultat ». La finalité de l’explicabilité de l’IA transcende la simple conformité réglementaire. En dotant les compliance officers d’outils d’IA, l’explicabilité assure au client des prises de décision éclairées, responsables et efficaces. Elle joue un rôle crucial en permettant une évaluation et une amélioration continues des processus, en assurant la performance et l’équité, et en atténuant les risques tels que les biais algorithmiques. Une méthode efficace pour expliquer les décisions prises par l’IA est l’utilisation de l’approche dite « ensembliste », qui superpose diverses petites fonctions de l’IA, rendant chaque élément identifiable et explicatif dans le cadre de la décision globale. Cette finesse d’explication aide à maintenir la compréhensibilité pour les humains, évitant ainsi les systèmes opaques dits « boîte noire » qui exécutent des tâches complexes sans transparence. L’explicabilité est essentielle non seulement pour la confiance des utilisateurs, mais aussi pour le développement d’une IA de confiance en lien avec les futures exigences de l’IA Act . Elle permet aux développeurs et aux utilisateurs finaux de comprendre, de questionner, et potentiellement de contester les décisions basées sur l’IA, favorisant ainsi une technologie plus éthique et juste.
La prise décision constitue l’étape finale. Une fois la collecte et l’analyse de données, les algorithmes d’IA fournissent des résultats. C’est un point crucial, car la jurisprudence impose que l’infraction de blanchiment soit suffisamment caractérisée pour être sanctionnée 36 . L’apport de l’IA à cette étape peut s’appréhender de différentes manières. En premier lieu, le triage des alertes. Les algorithmes peuvent classifier automatiquement les alertes selon le niveau de dangerosité, privilégiant celles dont le comportement est le plus anormal avec un risque élevé. Les algorithmes peuvent être basés sur des règles prédéfinies mais évoluent vers des modèles plus sophistiqués capables d’apprendre des transactions historiques pour améliorer continuellement leur précision. Les alertes mineures soit sont, quant à elles, clôturées collectivement, soit servent d’outil pédagogique. En deuxième lieu, il s’agit du blocage des opérations suspectes. L’IA, grâce à ses capacités d’apprentissage automatique et d’analyse de données volumineuses en temps réel, peut identifier des schémas complexes d’activités illégales afin de les suspendre jusqu’à l’analyse par le contrôle de second niveau. En troisième lieu, il s’agit de la mise en place de mesures curatives et coercitives à l’égard des personnes à risques. Cela peut se caractériser par la mise à jour automatique du profil risque du client basé sur les dernières opérations (dont la limitation de ses plafonds d’opérations), l’envoi automatique d’actions à réaliser par les collaborateurs de premier niveau et dans des cas extrêmes, le blocage des comptes.
Au même titre que les Regtechs , les Suptechs ( supervisor technology ) apparaissent dans le paysage réglementaire. Ils décrivent les technologies utilisées par les autorités de contrôle. En effet, ces dernières années l’application de l’IA par le régulateur s’est accentuée. Depuis 2018, L’ACPR a initié un travail sur ce sujet. En mars 2019, suite à la publication d’un premier rapport et d’une consultation publique, elle a lancé des travaux exploratoires pour éclairer les enjeux d’explicabilité et de gouvernance de l’IA. En 2020, l’organisme a diffusé le rapport intitulé « Gouvernance des algorithmes d’IA dans le secteur financier », mettant en avant l’importance cruciale de « l’explicabilité » dans l’élaboration et la gestion des algorithmes.
Un des exemples les plus récents est l’outil LUCIA pour logiciel à l’usage du contrôle assisté par l’intelligence artificielle. Cet outil Suptech a été développé par l’ACPR et la Banque de France au service des missions de contrôle sur place 37 . Il collecte, consolide et examine minutieusement les données issues d’une diversité de sources, y compris des données externes pour améliorer l’identification des opérations atypiques 38 . Pour cela, il peut s’appuyer sur un éventail de données incluant des transactions financières, les informations de connaissance client, des rapports externes (ex. : TRACFIN), des informations péjoratives 39 . Grâce aux algorithmes de data mining et de machine learning , il est capable d’« extraire des signaux faibles à partir des données d’opérations et de connaissance client collectées dans le cadre des investigations » 40 . Il transforme les données brutes en une cartographie des risques structurée et intelligible, organisant de manière autonome les clients selon des catégories de risques distinctes. L’interface offre une approche en « entonnoir » avec des fonctionnalités intéressantes comme le filtrage, des recherches avancées, la mise en avant des profils de risque, la visualisation des liens entre clients 41 . LUCIA mobilise une série d’outils sophistiqués et de techniques de pointe. Grâce à l’application de techniques de traitement du langage naturel, il est capable de détecter des opérations ou contreparties présentant un risque et d’analyser des adresses. En complément, l’apprentissage non supervisé lui permet de détecter des anomalies et d’effectuer une segmentation automatique des profils de risque. Cette méthode lui donne la capacité de caractériser des comportements typiques en se basant sur les données observées, d’identifier les observations atypiques et de construire des scores d’anomalie. Par ailleurs, la modélisation par graphes relationnels enrichit son analyse en détectant des liens entre les clients et en visualisant l’ensemble des flux ainsi que les relations avec les contreparties 42 . Cet outil a déjà fait ses preuves dans une décision à l’encontre d’un établissement de crédit. Il a permis aux « contrôleurs de traiter des quantités importantes de données après que les demandes adressées à l’établissement ont conduit celui-ci à leur transférer 540 gigabits (GB) de données, notamment relatives à 750 millions d’opérations de paiement effectuées par la clientèle de janvier 2018 à juin 2020 » 43 .
Marie-Agnès NICOLET et Yan-Elyes BAILI
Par un récent arrêt, la chambre criminelle de la Cour de cassation 44 a suivi l’avis de la chambre sociale 45 en refusant de qualifier l’obligation de sécurité de l’employeur à l’égard des salariés des articles du code du travail français comme une loi de police encadrant la relation de travail entre la société Lafarge et les salariés de sa filiale syrienne, Lafarge Cement Syria. Lourde de conséquences, cette décision affaiblit les voies de recours des salariés de la filiale qui peuvent profiter de la saisine des rouages de la justice française pour obtenir gain de cause contre le géant du ciment français. À l’origine de cette affaire était reproché au groupe Lafarge d’avoir maintenu en service sa cimenterie ouverte à Jalabiya, depuis 2010, précisément sur la zone de conflit, le Nord de la Syrie, occupée entre 2012 et 2015, par différents groupes armés, dont l’organisation dite État islamique (EI). Gardant en service son usine, l’entreprise avait exposé ses salariés aux actions de ces groupes armés, pratiquant notamment l’extorsion ou l’enlèvement, qui avaient fini par prendre possession du site à l’arrivée de l’EI, en dépit de sommes que l’entreprise leur aurait versées, par le biais de divers intermédiaires, pour poursuivre l’exploitation de son usine.
À la suite de la révélation des faits par les associations de défense des droits de l’Homme, en France, la société mère, détenant à plus de 98 % la filiale syrienne, sera mise en examen des chefs, de complicité de crimes contre l’humanité et mise en danger de la vie d’autrui. En réponse aux pourvois formés par la société Lafarge, la Cour de cassation avait d’ores et déjà confirmé la poursuite de la mise en examen 46 en assimilant à de la complicité tout moyen fourni pour la préparation ou la réalisation d’un crime contre l’humanité dès lors que celui qui l’octroie a une connaissance claire de ce que les auteurs principaux commettent ou vont commettre un crime contre l’humanité 47 . Cette complicité peut être retenue contre une entreprise qui a cherché à monnayer la sécurité de son activité commerciale, sans nécessairement adhérer au projet des organisations criminelles ayant traité avec elle.
Quant au second chef d’accusation 48 , la Cour de cassation avait fait droit au pourvoi de la société Lafarge en censurant l’arrêt de la chambre d’instruction de la cour d’appel de Paris qui retenait une mise en danger des employés de la filiale syrienne du groupe, sans rechercher au préalable la loi applicable au contrat de travail liant la société Lafarge et les salariés de sa filiale syrienne, alors que l’infraction de mise en danger d’autrui suppose de démontrer une faute civile, contractuelle dans cette affaire, reprochable au cimentier français pour parvenir par la suite à une poursuite en matière pénale. Aussi était-il indispensable de déterminer la loi applicable sur la base de laquelle une obligation de sécurité pouvait le cas échéant être imputée à l’employeur. Pour des contrats formés et exécutés sur le même territoire, la loi applicable était sans le moindre doute la loi syrienne, cependant, les juges d’appel vont, à l’aide de plusieurs fondements, chercher à déclencher l’application de la loi française à ce litige, ce qui a conduit à la censure de la Cour de cassation. Mais avant d’analyser les motifs du choix de la chambre criminelle de faire échec à l’application extraterritoriale de la loi française à ce litige (B), il semble nécessaire d’exposer les spécificités de l’infraction de la mise en danger d’autrui, s’agissant particulièrement de sa dépendance à la loi civile – lato sensu –, qui définit les conditions de son incrimination (A).
En principe, la poursuite des infractions prévues dans le code pénal ne tient pas compte de la définition des actes répréhensibles en droit civil. Par exception, l’action pénale est subordonnée à la civile, à l’instar de l’infraction de mise en danger d’autrui dont la poursuite suppose, dans les rapports entre l’employeur et son salarié, la violation d’une obligation légale de sécurité ou de prudence du fait de l’employeur (1), ce qui, dans l’affaire Lafarge , pouvait correspondre à l’obligation de sécurité prévue aux articles R. 4121-1, R. 4121-2 et R. 4141-13 du code du travail français (2), dont l’application aurait vraisemblablement permis d’incriminer le groupe français.
L’infraction de mise en danger d’autrui est classée dans la catégorie des « infractions-obstacles », ainsi désignées parce que ces comportements sont réprimés parce qu’ils créent une situation favorable à la commission d’un acte plus grave, portant atteinte à l’intégrité physique et psychique d’une personne 49 ou encore causant une menace sur l’environnement. Cette condamnation sanctionne celui qui avait la possibilité de prévenir l’atteinte subie par autrui. Dans le domaine du travail, la mise en danger du salarié par son employeur doit résulter de la violation d’une obligation légale de sécurité à laquelle celui-ci était tenu. La Cour de cassation insiste particulièrement sur la nature légale de l’obligation dont le manquement est reproché à une partie 50 . Cette obligation de sécurité n’est pas tenue d’être légalement définie en ces termes 51 , le juge interprète comme une obligation de sécurité une règle impérative que le législateur n’a pas formellement inscrite en tant que telle dans la loi. Toutefois, les dispositions du code du travail en matière de sécurité des salariés intègrent naturellement cette catégorie 52 , raison pour laquelle leur violation a paru manifeste pour les juges d’appel au vu des faits de l’espèce.
En vertu des articles R. 4121-1 et suivants du code du travail français, l’employeur est tenu d’une obligation de sécurité et de résultat à l’égard de ses salariés qui comprend notamment l’organisation de formation adaptée aux dangers auxquels feront face ces salariés qui y apprennent, entre autres choses, les dispositifs de protection et de secours et les motifs de leur emploi. De même, l’employeur doit mettre à disposition de ses salariés un document unique de sécurité qui rappelle les risques encourus par ceux-ci, et, surtout, doit être mis régulièrement à jour en fonction de l’évolution constatée des risques auxquels les salariés sont exposés dans leur lieu de travail.
Or, un rapide examen des affaires dans l’affaire Lafarge pouvait conduire quiconque à la démonstration de manquements à cette obligation de sécurité figurant dans le texte français. En l’occurrence, il était clair que les salariés sur le site de Jalabiya, dans le Nord de la Syrie, n’avaient reçu aucune formation adaptée aux attaques terroristes qui allaient sinistrement embraser la région. Ils n’ont pas non plus été informés de l’évolution de la situation, même au pic de la crise, notamment quant aux opérations militaires déployées dans la région. En réalité, ce ne sera qu’en catastrophe que certains d’entre eux finiront par être évacués du site au moment de sa reprise manu militari par l’EI.
Saisis de l’affaire, les juges français vont être confrontés aux carences de la loi syrienne et à l’éloignement du ressort territorial des tribunaux français par rapport au lieu de déroulement des faits. Cherchant à surmonter ces obstacles, la chambre d’instruction de la cour d’appel de Paris, rejointe par là d’ailleurs par la chambre criminelle, va établir un lien de rattachement de l’affaire au ressort des tribunaux français, en considérant que la société mère française exerçait sur sa sous-filiale une influence telle qu’elle intervenait de manière constante dans « la gestion économique et sociale de la société employeur, conduisant à la perte totale d’autonomie d’action de cette dernière » 53 . Cette absence d’autonomie implique, comme le retient également la chambre sociale 54 , que la société soit traitée comme l’employeur des salariés affectés à l’usine syrienne. De ce rattachement, la cour d’appel de Paris souhaitait ensuite déduire l’application des dispositions du code du travail français en matière de sécurité, mais la Cour de cassation va censurer cette analyse au motif que le caractère international du litige le soumettait aux règles de droit international privé, s’agissant précisément de la détermination de la loi applicable aux obligations contractuelles de l’employeur, qui en pratique renvoyait à la loi syrienne. L’ultime moyen pouvant rendre la loi française applicable nécessitait de reconnaître son extraterritorialité en la qualifiant de loi de police, ce à quoi la Cour de cassation s’est opposée dans son récent arrêt.
En s’appropriant l’avis de la chambre sociale, la chambre criminelle écarte la qualification de loi de police aux articles invoqués par les juges d’appel pour confirmer le maintien de la mise en examen de la société Lafarge (1). Du fait de cette décision, l’annulation de cette mise en examen est dorénavant de toute évidence acquise, sur le seul chef toutefois de la mise en danger de la vie d’autrui (2).
Comme l’indique le professeur Mayaud 55 , du fait du contexte international des relations en cause, le juge français ne pouvait appliquer sa loi nationale au litige dont il était saisi. Le mécanisme conflictuel du droit international privé devait être mis en œuvre pour déterminer au préalable la loi applicable au contrat de travail liant la société Lafarge et les salariés syriens, même si l’affaire se situait en matière pénale 56 , entraînant seulement par après l’identification des normes de sécurité pouvant servir d’appui au délit de mise en danger. Or, l’application des dispositions du règlement Rome I 57 sur la loi applicable aux obligations contractuelles aboutissait à la désignation de la loi syrienne comme la loi régissant le contrat entre les parties. En effet, le contrat partageait avec la Syrie tous les liens de rattachement prévus par le règlement pour les contrats de travail 58 , soit parce que le lieu d’exécution habituelle du travail était un site construit dans ce territoire, soit encore parce ce que l’établissement ayant embauché ces salariés y était également basé. La loi française n’aurait pu, au surplus, être appliquée sur la base de la clause « d’exception » qui, à titre subsidiaire, permet de déroger à l’application des deux précédents critères lorsque la formation et l’exécution du contrat entretient les liens les plus étroits avec le territoire d’un État en particulier, ce qui dans tous les cas ramenait à la Syrie.
L’ultime moyen de l’invoquer dans ce litige était de classer les dispositions des articles R. 4121-1 et suivants du code du travail français dans la catégorie des lois de police. Conformément à l’article 9 du règlement Rome I, une loi de police 59 est une disposition du droit national d’un État que le juge saisi va devoir appliquer en dépit de la loi applicable au contrat d’après le présent règlement, dès lors que le litige entre dans son champ d’application. Par cette technique, l’État impose unilatéralement l’application de sa loi à des situations qui ne se déroulent exclusivement pas sur son territoire, et ce sans prendre en considération la volonté des parties 60 . Lorsque cette loi de police est une loi nationale du juge saisi, elle s’applique immédiatement, sans consultation préalable de la loi normalement applicable au litige.
L’importance des effets qu’elle entraîne explique les réserves attachées à l’identification de ce type de loi. Tout d’abord, la loi de police doit être dotée d’un domaine d’applicabilité précis, souvent au sein de textes codifiés, son domaine se limite à l’application de certaines règles impératives inscrites dans le code concerné 61 . Ensuite, le respect de la loi de police doit être jugé par l’État l’ayant consacré comme crucial par un pays pour la sauvegarde de ses intérêts publics, tels que son organisation politique, sociale ou économique. Elle doit en ce sens revêtir un caractère déterminant pour l’État qui l’adopte. Cependant, la notion de loi de police est d’interprétation stricte en demeurant une dérogation importante du fonctionnement du mécanisme conflictuel du droit international privé 62 .
Examinant les articles R. 4121-1 et suivants du code du travail français fixant le contenu de l’obligation de sécurité de l’employeur, la chambre criminelle, suivant en cela l’avis de la chambre sociale, reconnaît certes le caractère d’intérêt public de la protection que ces dispositions offrent aux travailleurs, mais ne les assimile pas aux lois de police au regard de la source européenne de ces règles de sécurité, ce qui suppose qu’elles n’expriment pas la volonté de l’État français de préserver l’organisation de son économie. En statuant ainsi, la Cour de cassation écarte l’application de la loi française dans les poursuites exercées contre la société Lafarge sur le chef de la mise en danger d’autrui, entraînant inexorablement l’annulation de sa mise en examen.
Avant la publication de cette décision, la chambre criminelle avait rendu un autre arrêt sur la question, en date du 3 octobre 2023, sans se prononcer expressément sur le maintien de la mise en examen du cimentier français sur le chef de l’infraction de mise en danger d’autrui issue de l’article 223-1 du code pénal. Cette décision avait simplement ordonné la réouverture des débats pour une audience fixée au 21 novembre 2023, dont l’issue exacte est, désormais, connue. Dans un communiqué de presse datant du 16 janvier dernier 63 , la Cour de cassation annonçait en clair avoir retenu l’annulation de la mise en examen de la société Lafarge sur du chef de mise en danger de la vie d’autrui, ce qui n’aurait pu surprendre puisque cette situation résulte de la non-applicabilité de la loi française dans cette affaire.
Les salariés de la sous-filiale syrienne du groupe perdent certainement par le fait même la possibilité d’exercer une action civile devant le juge français, ceci d’autant plus que la constitution de partie civile ne leur sera pas tous systématiquement accordée en cas de condamnation de la société Lafarge pour complicité de crime contre l’humanité et financement d’entreprise terroriste, car il leur incombera au préalable de démontrer, chacun individuellement, leur qualité de victime des actes terroristes intervenus durant la période de fonctionnement de l’usine de cimenterie. En outre, l’entreprise Lafarge avait conclu un accord de plaider-coupable – plea agreement en anglais avec le Département de la justice américaine (DoJ) 64 , validé depuis le 18 octobre 2022 par les juges new-yorkais, en vertu duquel elle devait verser au trésor américain une somme de 777,78 millions de dollars pour avoir financé d’une certaine manière l’activité des groupes terroristes en Syrie, principalement l’EI et le Front al-Nosra, sans toutefois qu’une réparation du préjudice des salariés de la cimenterie syrienne n’eût été accordée à ces derniers.
Jordi MVITU MUAKA et Julien BRIOT-HADAR
( 1 ) Les considérants du code de conduite soulignent qu’il constitue « un engagement politique et n’affecte donc pas les droits et obligations des
États membres ni les compétences respectives des États membres et de la Communauté telles qu’elles découlent du traité ».
( 2 ) V. B. du code : « Un tel niveau d’imposition peut résulter du taux d’imposition nominal, de la base d’imposition ou de tout autre facteur pertinent ».
( 3 ) V. le document du groupe du code de conduite référencé 9639/4/18 du 5 décembre 2019 publié sur data.consilium.europa.eu.
( 4 ) Entretien avec les Échos accordé par Édouard Fernandez-Bollo, membre du conseil de surveillance prudentielle de la BCE, à Thibaut Madelin le 23 févr. 2023 et publié le 28 févr.
( 5 ) Proposition de règlement relatif à « la prévention de l’utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux ou du financement du terrorisme », 2021/0239(COD), 13 févr. 2024.
( 6 ) Dir. (UE) 2018/843 du Parlement européen et du Conseil du 30 mai 2018 modifiant la dir. (UE) 2015/849 relative à la prévention de l’utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux ou du financement du terrorisme, ainsi que les directives 2009/138/CE et 2013/36/UE, L. 156/44, p. 2.
( 7 ) Proposition de règlement relatif à « la prévention de l’utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux ou du financement du terrorisme », op. cit., p. 11.
( 8 ) Proposition de règlement relatif à « la prévention de l’utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux ou du financement du terrorisme », op. cit., p. 49.
( 9 ) Dir. (UE) 2018/843 du Parlement européen et du Conseil du 30 mai 2018 modifiant la dir. (UE) 2015/849 relative à la prévention de l’utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux ou du financement du terrorisme, ainsi que les directives 2009/138/CE et 2013/36/UE, op. cit., p. 16.
( 10 ) Proposition de règlement relatif à « la prévention de l’utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux ou du financement du terrorisme », op. cit., p. 215.
( 11 ) Proposition de règlement relatif à « la prévention de l’utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux ou du financement du terrorisme », op. cit., p. 216.
( 12 ) Proposition de règlement relatif à « la prévention de l’utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux ou du financement du terrorisme », op. cit., p. 210.
( 13 ) Dir. (UE) 2018/843 du Parlement européen et du Conseil du 30 mai 2018 modifiant la dir. (UE) 2015/849 relative à la prévention de l’utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux ou du financement du terrorisme, ainsi que les directives 2009/138/CE et 2013/36/UE, op. cit., p. 15.
( 14 ) Dir. (UE) 2015/848 du Parlement européen et du Conseil du 20 mai 2015 relative à la prévention de l’utilisation du système financier aux fins du
blanchiment de capitaux ou du financement du terrorisme, modifiant le règlement (UE) n o 648/2012 et abrogeant la dir. 2005/60/CE, L. 141/73, p. 19.
( 15 ) Proposition de règlement relatif à « la prévention de l’utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux ou du financement du terrorisme », op. cit., p. 39.
( 16 ) Proposition de règlement relatif à « la prévention de l’utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux ou du financement du terrorisme », op. cit., p. 32.
( 17 ) Dir. (UE) 2015/848 du Parlement européen et du Conseil du 20 mai 2015 relative à la prévention de l’utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux ou du financement du terrorisme, modifiant le règlement (UE) n o 648/2012 et abrogeant la dir. 2005/60/CE, op. cit., p. 32. p. 20.
( 18 ) Proposition de règlement relatif à « la prévention de l’utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux ou du financement du terrorisme », op. cit., p. 66. ( 19 ) Proposition de règlement relatif à « la prévention de l’utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux ou du financement du terrorisme », op. cit., p. 255.
( 20 ) Proposition de règlement relatif à « la prévention de l’utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux ou du financement du terrorisme », op. cit., p. 286.
( 21 ) Ibid.
( 22 ) Proposition de règlement relatif à « la prévention de l’utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux ou du financement du terrorisme », op. cit., p. 263.
( 23 ) Dir. (UE) 2018/843 du Parlement européen et du Conseil du 30 mai 2018 modifiant la dir. (UE) 2015/849 relative à la prévention de l’utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux ou du financement du terrorisme, ainsi que les directives 2009/138/CE et 2013/36/UE, op. cit., p. 15.
( 24 ) Proposition de règlement relatif à « la prévention de l’utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux ou du financement du terrorisme », op. cit., p. 197.
( 25 ) Proposition de directive relative aux « mécanismes à mettre en place par les États membres pour prévenir l’utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux ou du financement du terrorisme et abrogeant la directive (UE) 2015/849 », 2021/0250(COD), 12 févr. 2024.
( 26 ) Dir. (UE) 2018/843 du Parlement européen et du Conseil du 30 mai 2018 modifiant la dir. (UE) 2015/849 relative à la prévention de l’utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux ou du financement du terrorisme, ainsi que les directives 2009/138/CE et 2013/36/UE, op. cit., p. 4.
( 27 ) Proposition de directive relative aux « mécanismes à mettre en place par les États membres pour prévenir l’utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux ou du financement du terrorisme et abrogeant la directive (UE) 2015/849 », op. cit., p. 146.
( 28 ) Proposition de directive relative aux « mécanismes à mettre en place par les États membres pour prévenir l’utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux ou du financement du terrorisme et abrogeant la directive (UE) 2015/849 », op. cit., p. 37.
( 29 ) Dir. (UE) 2018/843 du Parlement européen et du Conseil du 30 mai 2018 modifiant la dir. (UE) 2015/849 relative à la prévention de l’utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux ou du financement du terrorisme, ainsi que les directives 2009/138/CE et 2013/36/UE, op. cit., p. 17.
( 30 ) Ibid.
( 31 ) Proposition de directive relative aux « mécanismes à mettre en place par les États membres pour prévenir l’utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux ou du financement du terrorisme et abrogeant la directive (UE) 2015/849 », op. cit., p. 14.
( 32 ) Dir. (UE) 2018/843 du Parlement européen et du Conseil du 30 mai 2018 modifiant la dir. (UE) 2015/849 relative à la prévention de l’utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux ou du financement du terrorisme, ainsi que les directives 2009/138/CE et 2013/36/UE, op. cit., p. 20.
( 33 ) Proposition de règlement « instituant l’Autorité de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme et modifiant les règlements (UE) n o 1093/2010, (UE) n o 1094/2010 et (UE) n o 1095/2010 », 2021/0240 (COD), 12 févr. 2024.
( 34 ) Commission des sanctions n o 2020-01 du 24 déc. 2020 à l’égard d’un établissement de crédit.
( 35 ) G Cleuziou, Une méthode de classification non-supervisée pour l’apprentissage de règles et la recherche d’information, université d’Orléans, 2004. 7.
( 36 ) Crim., 18 mars 2020, n° 18-86.491, D. 2020. 654 ; ibid. 1750, chron. G. Barbier, A.-S. de Lamarzelle, A.-L. Méano, M. Fouquet, E. Pichon, C. Carbonaro et L. Ascensi ; ibid. 1807, obs. C. Mascala ; AJ pénal 2020. 298, obs. M. Lassalle ; RSC 2020. 945, obs. H. Matsopoulou ; RTD com. 2020. 517,
obs. B. Bouloc.
( 37 ) ACPR et AMF « Atelier : Lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme (LCB-FT) », Forum Fintech ACPR AMF, 16 oct. 2023, p. 35.
( 38 ) ACPR et AMF « Atelier : Lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme (LCB-FT) », op. cit., p. 40.
( 39 ) Ibid.
( 40 ) ACPR et AMF « Atelier : Lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme (LCB-FT) », op. cit., p. 36.
( 41 ) ACPR et AMF « Atelier : Lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme (LCB-FT) », op. cit., p. 37.
( 42 ) ACPR et AMF « Atelier : Lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme (LCB-FT) », op. cit., p. 39.
( 43 ) Commission des sanctions, établissement de crédit.
( 44 ) Crim., 16 janv. 2024, n° 22-83.681, D. 2024. 114 ; AJ pénal 2024. 143, note H. Partouche.
( 45 ) Soc., 14 mars 2023, n o 22-83.681.
( 46 ) Crim., 7 sept. 2021, n o 19-87.367 (« le versement en connaissance de cause d’une somme de plusieurs millions de dollars à une organisation dont l’objet n’est que criminel suffit à caractériser la complicité par aide et assistance »), Bull. crim., n o 66-67, D. 2022. 45, note L. Saenko ; JA 2021, n° 648, p. 11, obs. X. Delpech ; AJ pénal 2021. 469, note J. Lasserre Capdeville ; Rev. sociétés 2022. 102, note H. Matsopoulou ; RSC 2021. 827, obs. Y. Mayaud ; Dr. soc. 2021. 41, obs. R. Salomon ; CP G 2021, 1096, note S. Detraz).
( 47 ) Bien que l’article 121-7 du code pénal définit la complicité de manière générale, ce qui permet de l’appliquer à la poursuite des crimes tels que le terrorisme ou d’autres infractions graves, les auteurs considèrent en majorité qu’elle suppose nécessairement que soit démontrée une intention
coupable du présumé complice, qui doit avoir la conscience et le désir de concourir à l’infraction principale. V., R. Legros, L’élément intentionnel dans la participation criminelle, RD pénal crim. 117, n o 22 ; R. Koering-Joulin, L’élément moral de la complicité par fourniture de moyens ruineux, D. 1980. Chron. 231 ; B. de Lamy, La culpabilité du complice est autonome ou les méandres de la criminalité d’emprunt, D. 2004. 310.
( 48 ) C. pén., art. 223-1.
( 49 ) R. Merle et A. Vitu, Traité de droit criminel, t. 1, 1997, éd. Cujas, n o 515 ; P. Conte et P. Maistre du Chambon, Droit pénal général, 7e
éd., A. Colin, 2004, n o 323.
( 50 ) Crim., 8 sept. 2020, n° 19-82.761, D. 2020. 1717 ; Dr. pén. 2020, comm. 186, obs. J.-H. Robert.
( 51 ) Toulouse, 1 er févr. 2001, n° 00/00644 (relatif au non-respect de la législation relative à la durée du travail), RSC 2002. 104, obs. Y. Mayaud et
n o 01/00312 (relatif au stationnement d’un camion sur un trottoir), D. 2002. 1383, obs. S. Vignette ; RSC 2002. 104, obs. Y. Mayaud.
( 52 ) Crim., 13 nov. 2019, n° 18-82.718, D. 2019. 2184 ; ibid. 2020. 2367, obs. G. Roujou de Boubée, C. Ginestet, M.-H. Gozzi, S. Mirabail et E. Tricoire ; AJ pénal 2020. 87, obs. J. Lasserre Capdeville ; Dr. soc. 2020. 168, étude R. Salomon ; RSC 2019. 805, obs. Y. Mayaud ; D. actu. 2 déc. 2019, obs.
F. Charlent ; Dr. pénal 2020, comm. 3, obs. P. Conte.
( 53 ) Crim., 7 sept. 2021, préc.
( 54 ) V. not., Soc., 25 nov. 2020, n° 18-13.769, D.2348 ; ibid. 2021. 1152, obs. S. Vernac et Y.Ferkane ; Dr. soc. 2021. 367, obs. D. Baugard ; RDT 749, obs. M. Kocher et S. Vernac.
( 55 ) Y. Mayaud, L’affaire Lafarge dans sa dimension attentatoire aux personnes, RSC 2021. 827.
( 56 ) J. Gaye, L’affaire Lafarge et les questions préalables en droit pénal international, Revue de droit international d’Assas n o 5, 1 er mai 2022, 11.
( 57 ) Règl. CE n o 593/2008, 17 juin 2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles.
( 58 ) Art. 8, Régl. CE, préc.
( 59 ) Sur la définition de la notion de loi de police, v. P. Francescakis, Quelques précisions sur les lois d’application immédiate et leur rapport avec
les règles de conflit de lois, Rev. crit. DIP 1966. 1.
( 60 ) P. Mayer, Droit international privé, 6e éd., 1998, Montchrestien, p. 82.
( 61 ) V. Civ. 1 re, 28 mai 1991, n o 89-19.522 (s’agissant des dispositions du code de la consommation), D. 1993. 197, note J. Raynard ; Rev. crit. 1991. DIP 752, note P.-Y. Gauthier ; RTD com. 1991.386, obs. A. Françon ; égal., pour des lois non codifiées, Cass., ch. mixte, 30 nov. 2007, n° 06-14.006, D. 2008. 753, note W. Boyault et S. Lemaire ; ibid. 5, obs. X. Delpech ; ibid. 1507, obs. P. Courbe et F. Jault-Seseke ; ibid. 2560, obs. L. d’Avout et S. Bollée ; RDI 2007. 511, avis O. Guérin ; ibid. 2008. 38, obs. C. Charbonneau ; Rev. crit. DIP 2009. 728, note M.-E. Ancel ; RTD com. 2008. 456, obs. P. Delebecque ; JCP 2008. II. 10000, obs. L. d’Avout.
( 62 ) V. en ce sens, CJUE, 18 oct. 2016, aff. C-135/15, Nikiforidis, pt 44, D. 2016. 2122 ; ibid. 2017. 1011, obs. H. Gaudemet-Tallon et F. Jault-Seseke ; ibid. 2054, obs. L. d’Avout et S. Bollée ; Dr. soc. 2017. 196, étude L. Pailler ; Rev. crit. DIP 238, note D. Bureau et H. Muir Watt.
( 63 ) Communiqué de presse de la Cour de cassation, 16 janv. 2024, relatif au pourvoi n o 22-83.681.
( 64 ) N o 22-CR-444 (WFK), US DOJ c/ Lafarge SA et LCS, 18 oct. 2022, Ann. A.1952.